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PETITE FILLE

Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.

Envers et contre toustes

La représentation de la transidentité à l’écran s’accompagne souvent d’un regard tragique, comme si son récit se devait d’être fait dans les larmes et la douleur. Les exemples en ce sens abondent, piégés entre des ressorts dramatiques, spectaculaires même, et la volonté de raconter ces histoires à l’écran. 

Derrière l’intention sans doute louable de rendre accessible la transidentité à un public plus large se cachent souvent des maladresses, plus blessantes que bienveillantes. Ainsi, lorsque A Good Man raconte une grossesse trans, à travers le traits d’une actrice cis, Noémie Merlant, et cumule autant les stéréotypes, le film semble davantage conforter le public dans ses positions plutôt que de l’ouvrir aux questions de la transidentité.

En plaçant sa toute jeune héroïne au centre de la caméra, Sébastien Lifshitz lui offre la possibilité de raconter sa propre histoire. Dans un dispositif similaire à celui du très beau Adolescentes, le documentaire Petite Fille dévoile à travers le portrait intime les bribes de son environnement et d’une réalité sociale. Sasha est une enfant de sept ans assignée garçon depuis son plus âge. Tourné sur une année, Petite Fille raconte avec une bienveillance trop rare le quotidien de Sasha, enfant trans, et le combat de toute sa famille pour l’acceptation. 

Enfance et transidentité

Jamais voyeuriste, la caméra de Sébastien Lifshitz accompagne la vie de sa petite héroïne dans les gestes du quotidien. Ainsi, dès son ouverture, elle capte le rituel de Sasha qui s’apprête, choisit soigneusement ses vêtements à paillettes et se coiffe devant un miroir. Derrière la banalité du geste, on devine pourtant dans le regard de cette petite fille une force et une fierté silencieuse. A l’image de son titre, le documentaire ne dépossède pas Sasha de son statut d’enfant, sans pour autant lui retirer sa maturité. 

Car l’on pense en voyant le destin de Sasha à ces petites filles projetées sur le devant de la scène, avec toute la curiosité malsaine que cela entraîne. Que ce soit la petite Lilie, 8 ans, qui fait le tour des plateaux télévisions pour raconter son histoire ou Elsa Ramos, 8 ans également, qui livre un discours (fort) à l’Assemblée espagnole, la sur-médiatisation de ces petites filles trans interroge sur la politisation de ces corps, qui semble leur retirer une part de leur enfance pour en faire des objets politiques malgré elles.

Sans doute Petite Fille ne se débarrasse pas totalement du cis-gaze qui pèse sur bon nombre de films traitant de la thématique de la transidentité. Le documentaire met en avant un entourage cis qui met des mots sur l’histoire de la petite Sasha, et interroge de ce fait la perception qu’on a en tant que spectateur.ice.s, qui la politise malgré elle. Si le film contient quelques scènes chez le pédo-psychiatre, le film laisse pourtant une totale liberté à Sasha. Son quotidien est exceptionnel, mais la caméra discrète laisse éclore Sasha à l’image comme une enfant qui joue et rit, et dresse un portrait lumineux, loin de la tragédie assimilée à ce genre de récit. 

Pourtant, l’enfance de Sasha est loin d’être facile. Si les moments de bonheur abondent dans le récit, la douleur, elle, se lit en filigrane. La caméra capte des instants de réel et articule à travers les images une expérience de la vie. Ainsi, lorsque Sasha et sa mère rencontrent pour la première fois la pédo-psychiatre, la caméra laisse toute la place à la parole, et enferme les spectateur.ice.s aux côtés de la mère. La conversation est pédagogique et bienveillante, aussi accessible pour l’enfant que pour les spectateur.ice.s. Sasha, recroquevillée dans sa chaise, reste mutique mais les émotions traversent son visage jusqu’à ne plus pouvoir les contenir. La douleur qui en jaillit brise le cœur, parce qu’elle est réelle, mais aussi parce qu’elle est interdite, sans doute par peur d’attirer l’attention une fois de plus. 

Pourtant cette douleur est parfaitement légitime. A sept ans, Sasha doit faire face au harcèlement scolaire, auquel s’ajoute la violence discriminatoire de l’Education Nationale et du corps enseignant. En refusant de genrer correctement la petite Sasha, on lui refuse une part de son humanité et l’isole davantage. L’expérience de Sasha n’a rien d’exceptionnelle, puisque 72% des élèves trans ressentent l’expérience scolaire comme “mauvaise”, ou “très mauvaise”, loin du principe d’égalité fondateur de l’école républicaine. Durant une année, Petite Fille montre la difficulté mais aussi les victoires de la famille face à l’école : se faire des ami.e.s, mais aussi faire sa rentrée en tant que fille sont autant de petites célébrations qui permettent une avancée vers la tolérance. À travers le portrait de Sasha, Sébastien Lifshitz dresse les contours de la société empêtrée dans une transphobie ordinaire, qu’une enfant est bien déterminée à faire changer. 

Esprit de famille

Petite Fille, c’est autant le combat d’une enfant que celui d’une famille toute entière, déterminée à changer les choses. Si bon nombre de films insistent sur la déchirure familiale liée au coming-out, comme le récent Lola vers la Mer, Sébastien Lifshitz montre une famille profondément unie. S’adressant face caméra, la mère, mais aussi le père et la sœur témoignent d’un amour sans faille envers Sasha, jamais remis en question par sa transidentité. La compréhension et la bienveillance de la famille illuminent le récit, et noue une empathie immédiate avec les spectateur.ice.s. À l’adage éculé “l’amour plus fort que la haine”, la famille toute entière apporte une réalité bouleversante et un espoir indispensable. 

Sébastien Lifshitz livre le tableau émouvant d’une mère résolue à transformer le regard de la société. Ne niant jamais l’identité de Sasha, elle se révèle être une alliée de taille au quotidien dans sa construction et dans son épanouissement. Si le foyer est une des sources principales des violences LGBTQI+, le documentaire met en lumière les questionnements de la parentalité face à la transidentité avec douceur. La culpabilité de mal agir et d’être une mauvaise mère révèlent la douleur de voir grandir son enfant dans un monde aussi violent. Véritable mère courage, elle mène un combat de tous les instants tout en gérant seule – le père s’avoue lui-même moins impliqué – son foyer et la fratrie. 

Langage corporel 

Petite Fille délaisse toute moralisation pour laisser le réel opérer avec une simplicité désarmante. La caméra capte le passage du temps sur les corps, et les batailles silencieuses qui s’y opèrent. La dysphorie de genre, qui traduit le sentiment d’inadéquation entre le sexe assigné et l’identité de genre, se révèle à l’écran. Le motif de la danse qui traverse le film révèle peu à peu un apprentissage du corps. Dans la première séquence du cours de danse, Sasha, encore désignée comme un garçon, imite timidement les pas d’une autre danseuse. Les mouvements maladroits révèlent un inconfort de son corps, perçu par le reste de la classe comme celui d’un garçon. 

De retour dans le cocon familial, son corps et son identité s’expriment d’une manière plus fluide, plus confiante. Le vêtement genré fille lui redonne une confiance en elle qui se reflète dans sa manière d’appréhender ses mouvements. Par l’amour qu’on lui témoigne et aussi par l’humanité qu’on lui redonne, Sasha s’épanouit et s’approprie son corps. La scène finale apparaît comme enchantée et offre un dénouement lumineux à hauteur d’enfant : habillée en fée, Sasha envahit l’espace avec une grâce émouvante, s’affirmant dans un monde qu’elle change malgré elle. Mais surtout reste une enfant, joyeuse et innocente. 

Petite Fille est un documentaire d’une puissance rare, racontant le tabou des enfants trans avec une simplicité bouleversante, aussi pédagogique que magnifique. Sébastien Lifshitz évoque, à travers l’intime, les transformations lentes mais progressives de toute la société et dresse le tableau pudique et touchant d’une enfant qui ne cherche qu’à être heureuse.


Pour aller plus loin :

La souffrance des enfants trans – Slate 

Le compte Agressively Trans


Disponible sur Arte.tv et diffusé en prime time sur ARTE le 2 décembre 2020




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