0962975.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

PAR COEURS

Festival d’Avignon, été 2021. Une comédienne, un comédien, face à leur rôle, leur texte, juste avant les représentations. Devant la caméra documentaire de Benoit Jacquot, Isabelle Huppert et Fabrice Luchini au travail.

Critique du film

« Un texte, il faut le savoir plus que par coeur » martelait Jeanne Moreau. L’expression, apparue dans le courant du XVIe siècle, tire son origine d’une croyance de la Grèce antique, lorsque les médecins considéraient le cœur comme étant le centre de la conscience humaine. À considérer que connaître par coeur un texte renvoie à notre capacité de retranscrire avec exactitude et précision une connaissance particulière, l’énigmatique affirmation de notre regrettée valseuse nous offrirait-elle la clef de compréhension de cette magie que seuls savent invoquer les comédiens, lorsqu’ils donnent vie aux mots par la seule force de leur interprétation ?

Indéniablement, le nouveau film de Benoît Jacquot traduit la fascination du réalisateur pour la relation particulière entre un acteur et son texte. L’exercice relève ici presque du rituel, retrouvant à la fois Isabelle Huppert et Fabrice Luchini vingt-cinq ans après Pas de scandale, et faisant écho à un autre palpitant, qui battait déjà au rythme de l’intimité des répétitions d’un Fabrice Luchini seul en scène. Ainsi, sorte de suite spirituelle et plurielle, Par coeurs invite le spectateur à un moment suspendu, dans lequel deux amoureux et maîtres de leur art se livrent à ce qu’ils savent faire de mieux : caresser les mots de leur passion qu’ils ont pour eux.

PAR COEURS

Avec beaucoup de générosité, Isabelle Huppert et Fabrice Luchini ouvrent des portes presque sacrées. Dans cette intimité de l’avant représentation, qui renferme tous les doutes et les derniers instants de présent avant de quitter le monde des coulisses pour ceux de la lumière, les deux acteurs se livrent complètement. La rencontre, bien qu’elle n’ait jamais lieu, est celle d’un duo de glace et de feu. L’une a l’élégance de la précision, l’autre l’exubérance de la passion. Deux comédiens aux antipodes l’un de l’autre et pourtant animés par cette même faim du mot délivré à sa plus juste valeur – soit dans son exactitude, soit dans son sens véritable.

À tous ceux qui ne les connaitraient pas, Par coeurs est une magnifique introduction dans le vif de ce que représentent Isabelle Huppert et Fabrice Luchini dans le paysage de la belle et grande interprétation française. Si chaque moment aux côtés de celui qui aime d’un amour sans égal le théâtre comme « seul lieu où s’exprime la vie, la nourriture de la vie, ce qu’aucune école n’enseignera jamais », les instants de pur abandon auprès d’Isabelle Huppert font tout le film. L’actrice y est bouleversante de franchise, ouvrant à la caméra des moments de travail acharné mais qui, comme par miracle, s’ouvrent sur une infinie légèreté.

PAR COEURS

Si les moments d’introspection sont très forts, le didactisme de la mise en scène peine à sublimer totalement la proposition. Moins qu’une rencontre au sens propre du terme, Par coeurs propose une comparaison savamment montée en champs contre champs, explorant les similitudes non seulement entre les artistes, mais également entre les exercices dans lesquels on les retrouve – une pièce avec troupe et répliques à donner pour Huppert, un seul en scène comme il les affectionne tant pour Luchini. La simplicité du dispositif, renforcée par des plans se répondant en début et fin de film, finit paradoxalement par alourdir ce documentaire qui n’arrive pas à véhiculer son envie de dialogue implicite entre les deux comédiens qu’il suit.

Reste néanmoins un plaisir indéniable pour tous les amateurs de ces deux grands acteurs, une gourmandise à savourer de tous ceux qui aiment se délecter du beau verbe dans de belles bouches.

Bande-annonce

28 décembre 2022 – De Benoît Jacquot
avec Isabelle Huppert et Fabrice Luchini




%d blogueurs aiment cette page :