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LE FEU FOLLET

Alain Leroy, bourgeois trentenaire et alcoolique, est revenu à Paris afin de suivre une cure de désintoxication. Sa femme Dorothy est restée à New York. Autrefois mondain abonné aux soirées de débauche, Alain est aujourd’hui las de la vie. Les retrouvailles successives avec ses amis d’antan ne l’aident en rien. Même Lydia, une belle jeune femme, amie de Dorothy, avec qui il a passé une nuit ne semble pouvoir le sauver de son désespoir et de son dégoût. Alain, angoissé et mélancolique, pense qu’il doit mettre fin à ses jours…

Petite chapelle du désespoir

Une chambre d’hôtel, un lit défait, deux amants qui se parlent, ou plutôt une belle jeune femme qui interroge un homme, qui semble distant, perdu. Cette scène inaugurale est comme un sas, un lieu qui sépare Alain du reste du monde. C’est une suspension dans le temps, un battement de cœur. L’évanescence de cet instant est l’une des plus belles scènes d’exposition qui soit : on introduit ce personnage masculin, on apprend peu de choses sur lui, mais très vite son magnétisme, son inquiétude, captivent et fascinent. Il faut en savoir plus, cela devient brûlant. Pour incarner Alain nul autre que Maurice Ronet, qui lui prête son intensité, mais aussi son incandescence. Quand Louis Malle réalise cette première adaptation du Feu-follet de Pierre Drieu La Rochelle en 1963 (le roman date de 1931), Ronet a besoin d’un second souffle dans sa carrière. Trois ans après Plein Soleil de René Clément, il a besoin de ce grand rôle, de cette incarnation de son talent.

« Cinq minutes d’éternité »

Tout est contenu dans cette première scène, le drame à venir, les excès du passé, l’impossibilité pour Alain de se fondre dans un monde qui est trop agressif et angoissant pour lui. Retiré loin de tout, éloigné de sa femme, son armée des ombres personnelle l’a poursuivi jusque dans sa retraite imposée, à l’écart de Paris. Mais Babylone se rappelle a lui, constamment, resserrant ses serres noires autour de sa proie. Commence dès lors ce qu’il convient d’appeler « un dernier tour de piste » pour Alain. Chaque lieu visité est comme imprégné de l’énergie du jeune homme, cette électricité abandonnée au gré de libations sans fin. Les visages rencontrés sont souriants, avenants, on célèbre le héros déchu, astre déclinant qui a enchanté et nourri leur vie. Mais très vite on comprend que derrière se cache de la pitié.

Car en effet, si Alain a brillé de mille feux pendant ses fastes années, on comprend vite le coût subit. Il n’est plus qu’un spectre, une coquille vide harcelée par des démons qui ont d’ores et déjà remporté la partie. Le désespoir qui imprègne chaque instant du film après la sortie de la chambre d’hôtel, glace le sang. Ce ne sont même plus des cendres qui demeurent désormais. C’est un dégoût, une détestation de soi qui enlève la saveur des plaisirs simples qui faisaient pourtant le sel de l’existence du feu-follet. Face au désespoir la seule issue est donc la mort, comme programmée, après avoir visité une dernière fois ces lieux qui représentaient sa vie.

« Le génie Louis Malle, au firmament »

Si Le feu-follet est une grande histoire, respectée presque à la lettre, c’est aussi un tour de force de mise-en-scène. Louis Malle n’a que 31 ans quand sort ce film, et pourtant il est déjà un réalisateur confirmé, avec cinq long-métrages derrière lui, et notamment une palme d’or (le plus jeune de l’histoire du festival, à tout juste 25 ans) avec Le monde du silence co-signé avec Jacques-Yves Cousteau. Il infuse son récit d’une mélancolie redoutable et implacable qui entoure son personnage principal pour ne jamais le lâcher, le précipitant vers le drame. Tout en simplicité et sans effets tapageurs, c’est comme si le cadre était tout entier concentré sur Alain, et le beau visage de patricien de Maurice Ronet, qui n’est pas sans rappeler celui de son contemporain Jean-Louis Trintignant, en peut être plus « cabossé ».

Le réalisateur d’Ascenseur pour l’échafaud signe un film, d’une classe et d’une sensibilité incroyable, qui reste à ce jour un modèle du genre. Si Joachim Trier en a réalisé une nouvelle version avec son Oslo, 31 août, il eut bien du mal à rivaliser avec l’intensité du jeu de Ronet et avec la belle mécanique de mise-en-scène d’un Louis Malle déjà au sommet de son art, si jeune. Son Feu-follet est cette petite chapelle de désespoir qui sommeille en chacun de nous, celle de ce possible point de non retour qu’il ne faut pas franchir, entre résignation et douleur.


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