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JINPA

Sur une route solitaire traversant les vastes plaines dénudées du Tibet, un camionneur qui avait écrasé un mouton par accident prend un jeune homme en stop. Au cours de la conversation qui s’engage entre eux, le chauffeur remarque que son nouvel ami a un poignard en argent attaché à la jambe et apprend que cet homme se prépare à tuer quelqu’un qui lui a fait du tort à un moment donné de sa vie. A l’instant où il dépose l’auto- stoppeur à un embranchement, le camionneur ne se doute aucunement que les brefs moments qu’ils ont partagés vont tout changer pour l’un comme pour l’autre et que leurs destins sont désormais imbriqués à jamais. 

Critique du film

On peut dire beaucoup de choses en un seul plan. Une route au milieu d’un paysage infini, nous sommes sur le plateau désertique du Kekexili, battu par les vents. Ce premier plan, d’une très grande beauté, aux allures kiarostamiennes, annonce le road movie en devenir et présente le format 1.33 de l’image, celui des origines du cinéma, celui aussi qui sied au portrait. Une seule image pour exposer tout à la fois l’ambition du film et son esthétique. Une seule image vaut contrat. 

Songe ou souvenir ?

Routier looké, collier, bagues et lunettes foncées (mais pourquoi la pire image d’un Johnny Depp, commercial pour cosmétique, vient polluer notre cerveau ?) Jinpa sillonne le haut plateau tibétain avec une version locale d’O sole mio pour compagnie, que diffuse une cassette au ruban fatigué.  Décadrages, multiplicité des points de vue, c’est par la mise en scène que Pema Tseden ajoute une pointe d’intranquillité à la routine du trajet. 

Musique, cigarette, motifs décoratifs, la cabine est le lieu du rituel, cocon que semble protéger une icône païenne, la photo d’une enfant accrochée au rétroviseur. 

Jinpa scrute les paysages, inlassable beauté que Tseden filme en plans fixes. Grain, composition et couleurs écrasées par la lumière (ocre pâle, aigue marine, bleu délavé) rappellent le travail photographique de Bernard Plossu, en particulier dans le désert du Nouveau-Mexique.

Distrait par le vol d’un rapace, Jinpa heurte un mouton. Bientôt, l’animal mort doit céder sa place sur la banquette avant à un auto-stoppeur pas bavard mais pas cachottier non plus. L’homme se nomme également Jinpa et cherche à rejoindre une ville pour venger son père. Les deux Jinpa, filmés de face, assis côte à côte, arêtes de nez épousant la verticalité du bord cadre, semblent redonner un équilibre à l’image. Ce sont autant ces détails formels que le mystère qui entoure le voyageur qui conduisent le récit vers une forme d’obsession.

Sa cargaison acheminée, le karma du mouton sauvé, Jinpa va n’avoir de cesse de retrouver Jinpa. 

Le filme glissant vers l’enquête, troublent les sens. Alors que la bande son est peu à peu gagnée par le bourdonnement d’une psalmodie, l’image se brouille à sa périphérie. Songe ou réminiscence, flash back ou balbutiement ? 

Parfois à la limite du maniérisme, la mise en scène de Pema Tseden permet une expérience de cinéma pas si fréquente où l’oeil saisit immédiatement ce que l’esprit comprend avec un temps de retard. Le contrat du premier plan ne demande qu’à être renouvelé dès juillet où Balloon, septième film du réalisateur et troisième à nous parvenir, est annoncé.

Sur un fil narratif tenu en équilibre entre présages et mirages, un film de toute beauté que l’on traverse comme un songe. Et laisse des ricochets dans la tête, bien après la séance.

Bande-annonce




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