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HONEYLAND

Hatidze est une des dernières personnes à récolter le miel de manière traditionnelle, dans les montagnes désertiques de Macédoine. Sans aucune protection et avec passion, elle communie avec les abeilles. Elle prélève uniquement le miel nécessaire pour gagner modestement sa vie. Elle veille à toujours en laisser la moitié à ses abeilles, pour préserver le fragile équilibre entre l’Homme et la nature.

CRITIQUE DU FILM

Sur le papier, Honeyland aurait pu faire figure de curiosité. Documentaire macédonien tourné en lumières naturelles au milieu des montagnes, le film fut plébiscité au dernier festival de Sundance et fut nommé deux fois aux Oscars. Un succès qui, après découverte, n’a d’égale que la qualité du long-métrage.

Tourné sur trois ans à une vingtaine de kilomètres de la capitale Skopje, Honeyland suit la vie de Hatidze, apicultrice quinquagénaire respectant à la lettre le protocole environnemental de Nagoya – elle partage ses récoltes avec ses abeilles, en ne prenant que 50% du miel. Sa vie va basculer lorsque Hussein et sa famille s’installent à côté de chez elle en y détruisant l’écosystème qu’elle s’obstine à garder intact. L’on aurait pu croire à un documentaire où règne un antagonisme frelaté et abject, prenant à tout prix parti pour cette femme au regard perdu dans l’immensité champêtre macédonienne, contre des vils Turcs avides d’argent. Il n’en est rien : le film parvient à doucement intégrer un deuxième point de vue dans le récit et ainsi se focaliser sur les problématiques sociales de ces deux familles vivant systématiquement dans le besoin (Hatidze pour sa mère gravement malade, Hussein pour ses enfants qui ont besoin d’aller à l’école).

La terre en elle-même n’est pas oubliée : les conséquences environnementales sont aussi au centre des discordes, notamment visibles par le choix de filmer des passages en contre-plongée lors de certains passages. Toutes ces caractéristiques sont explicitées, interceptées lors de séquences troublantes offrant de multiples perspectives fascinantes. La caméra qui plus est conserve une proximité bienvenue, car l’absence de retrait permet d’embrasser instantanément un regard, et figer le portrait de ces travailleurs sans relâche. De fait, Honeyland réussit la prouesse de seulement mettre en tension et en parallèle ces deux familles sans jamais les opposer, pour ainsi conserver une neutralité dans le conflit et tenter d’y décrypter les conséquences de leur mode de vie.

Les deux réalisateurs, Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska, parviennent à resserrer les trois années de tournage en un récit ténu, presque de l’ordre de la fiction tant le resserrement narratif en amplifie la narration. Il faut dire que l’échelle représentée est remarquable plastiquement et esthétiquement. Pouvant d’abord être perçu comme décor, l’environnement devient ce qu’Antoine Gaudin appelait paysage, un fragment du monde ressenti comme monde même. Cela est bien visible lorsque la caméra vient se rapprocher en gros plan du visage marqué de Hatidze. Les fragments d’espace enregistrés rétrécissent au fur et à mesure que les disputes éclatent, ne devenant alors qu’un infini que définissait pourtant le premier plan du film : une route en diagonale, sans tenant ni aboutissant, empruntée par la « protagoniste ». D’une certaine manière, cela traduit aussi bien la note d’intention du projet, à savoir expliciter que « l’histoire d’Honeyland commence bien avant les humains » : à l’instar des nomades turcs menés par Hussein, l’humanité n’est que de passage dans cette réserve naturelle. En outre, certains passages éclairés à la lampe à pétrole ou à la bougie flattent la rétine, et par les vagues incessantes de la mèche instaurent une vraie intimité au foyer de l’apicultrice.

Ainsi, de cette vision socio-économique à la dramaturgie de l’intime, Honeyland réussit son pari d’offrir une vision sensible du monde par le ressenti de son immensité à travers les mouvements de ses personnages, autant qu’une vision politique d’un monde qui survit tant bien que mal face aux besoins qu’il demande. Une très grande œuvre, indispensable, dont le visionnage en salle est fortement recommandé.

BANDE-ANNONCE

16 septembre 2020 – De Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska.




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