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CITY HALL

Frederick Wiseman investit la municipalité de Boston, où le Maire démocrate Martin J. Walsh et ses équipes travaillent dans un esprit participatif et collaboratif avec les citoyens, à la mise en place d’une politique sociale, culturelle et égalitaire.

CRITIQUE DU FILM

Nous avions laissé Frederick Wiseman en 2019 sur un enterrement en pleine campagne. Cette cérémonie faisait aussi office d’une chronique d’une mort annoncée de la ville de Monrovia, dans l’État d’Indiana. D’abord panorama insolite d’un village de 1400 habitants dans le Midwest américain, Monrovia, Indiana tendait progressivement vers une synecdoque pessimiste des petits lieux autour des grandes capitales d’État, prêtes à être englouties. Quoi de mieux alors que de s’intéresser aussitôt à une capitale américaine ? Là aussi, il est question d’extension : partant du quartier municipal, City Hall cartographie progressivement Boston par de multiples échanges à propos des différents districts autour de son centre névralgique. 

KERNEL PANIC ?

City Hall est le contrepoint parfait de Monrovia, Indiana : Wiseman filmait en campagne des portions d’espace représentatifs (des champs de maïs, silos, hangars…) qui renvoyaient de facto à ce village pittoresque américain. Cette fois-ci, tout est tourné par extension au bâtiment brutaliste de l’Hôtel de Ville bostonien, point central narratif et esthétique. Les motifs de l’édifice, répétés inlassablement, segmentent sociologiquement les populations de la ville selon les sollicitations de chacun. Mais elle coupe aussi de manière métatextuelle les longues séquences du long-métrage. Cela crée des répercussions sur ce qui sera l’épanadiplose du film : une centrale d’appel qui recense tous les problèmes constatés par les gentilés de Boston, aussi absurdes soient-ils.

En outre, l’architecture du bâtiment, au-delà d’être considérée par certains comme l’une des plus laides au monde, reflète une certaine forme de hiérarchie puisque les différents grands bureaux de l’Hôtel de ville sont visibles depuis l’extérieur de la bâtisse. Enfin, l’intégration de l’immeuble dans le montage entre chaque débat renvoie toujours à l’idée d’un noyau autour duquel gravitent les multiples problématiques à régler dans les grands quartiers de la métropole.  

Et les problématiques sont multiples et se mélangent admirablement : entre les demandes insolites de chasse au rat et les témoignages de traumatisés de guerre, City Hall n’oublie personne et dresse un panorama formidable de multiculturalisme au sein de son dispositif. Il faut dire que le réalisateur fraîchement nonagénaire y est pour quelque chose : en s’effaçant totalement des discussions, il réussit une fois de plus à offrir des instants de vie très crus et essentiels pour comprendre la démographie d’une capitale dont la population est issue de nombreuses origines.

Qui d’autre que ce documentariste peut s’immiscer sans bruit dans une discussion informelle entre l’un des leaders du NAACP et la figure tutélaire de Boston ? C’est en cela que le geste de Wiseman est précieux : toujours dans l’instant, il réussit à capturer de manière naturaliste (au sens littéraire du terme) de nombreuses heures de rushes sans jamais interférer sur les paroles de chacun, quitte à ce que les discussions enregistrées restent cryptiques un certain temps pour le spectateur. 

MAKE AMERICA GREAT FINALLY

Le reproche entendu en fin de projection était que Frederick Wiseman semblait parfois céder à la propagande, en croquant le portrait de l’élu municipal de manière très méliorative. Certes, et c’est visible à l’écran : Wiseman apprécie ce Maire. Il aime son omniprésence pour sa ville, sa politique de délégation des problèmes selon les capacités de son équipe, et surtout l’humilité de son parcours. Ancien alcoolique, originaire de la classe ouvrière catholique irlandaise, Walsh sait qu’il est un fils d’immigrés comme nombre de ses compatriotes.

Pourtant, chaque action effectuée sous sa gouvernance délivre au fur et à mesure du film des conséquences qui nuancent par petites touches la politique prise. Une discussion tendue autour de l’ouverture d’un magasin de marijuana dans un quartier difficile en est le parfait exemple : elle permet autant de voir les multiples origines formant la communauté urbaine, tout en localisant de manière décisive ce quartier dit difficile, mais jusque-là avoué uniquement à demi-mot. La parole laissée ouvertement à toutes ces personnes, sans aucune intervention de Marty Walsh dans cette conversation, permet de contrebalancer un bilan que l’on aurait pu croire parfait auparavant. 

Il faut tout de même se l’avouer : City Hall est un documentaire qui existe surtout en raison du contre-pouvoir que ses rushes mettent habilement en valeur. Hantée par la figure d’un Président incontrôlable (pourtant très peu cité dans le film), la municipalité agit de manière féroce à rebours des décisions gouvernementales prises en parallèle. Une séquence le prouve d’ailleurs : à l’heure du Muslim Ban inauguré par Donald Trump, Martin Walsh rassure ses équipes en leur promettant d’aller à l’encontre de cette mesure. Cela donne au documentaire un témoignage fort d’un optimisme gouvernemental bienveillant et inclusif, en opposition directe à la fin de Monrovia, Indiana. Les petits plaisirs champêtres en voie de disparition laissent désormais place à une grande fête municipale, repoussée longuement dans le montage du long-métrage jusqu’à l’heure fatidique du bilan qui se révèlera très positif.

Là est aussi la force de Wiseman : plus politique que jamais, City Hall réussit à faire de ses 276 minutes un tract farouche, de bon aloi avant les élections américaines, mais aussi – et toujours par extension – une invitation à la possibilité d’un monde uni malgré les différences de chacun. Un beau message d’espoir qui fait du bien en ces temps troubles.  

BANDE-ANNONCE

21 octobre 2020 – De Frederick Wiseman




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