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BLACK SWAN

Rivalités dans la troupe du New York City Ballet. Nina est prête à tout pour obtenir le rôle principal du Lac des cygnes que dirige l’ambigu Thomas. Mais elle se trouve bientôt confrontée à la belle et sensuelle nouvelle recrue, Lily…

Le chant du cygne

Les années ont beau courir, entraînées par l’inaltérable fuite du temps, d’illustres modèles continuent à s’ériger en gardiens du temple, en prêtres de l’image et du geste. Dans l’univers ô combien codifié de la danse classique, les genres tourbillonnent avec les tutus des étoiles mais les fondations académiques et leurs plus fiers représentants ne sont jamais loin comme le prouve encore l’aura intacte du Lac des Cygnes. Bientôt 150 ans après sa composition, le ballet reste aujourd’hui l’un des plus joués et des plus appréciés du grand public, prompt à faire rêver des générations de ballerines hantées par les trente-deux fouettées d’Odile, double maléfique d’Odette, émouvant cygne blanc.

Surprenante de prime abord, l’association entre ce monument et le style volontiers tapageur de Darren Aronofsky aurait pu donner à la montagne l’occasion d’accoucher d’une minuscule souris mais c’était sans compter sur le jusqu’au-boutisme désormais indéniable du réalisateur. Pour celui qui s’échine généreusement à édifier de ses mains un pont entre esthétisme outrancier et influence du cinéma indépendant, le matériau incarné par Le Lac des Cygnes s’apparente, au contraire, à un important terrain d’expérimentation, à une entreprise de patchwork imaginée comme le pendant féminin de The Wrestler.

En privilégiant l’immersion du spectateur grâce à une réalisation en caméra portée, il poursuit Nina dans les couloirs, les studios et les rues telle une ombre jetant un voile sur son itinéraire d’émancipation. D’une introduction semi-rêvée, tragiquement prémonitoire, à la lente plongée aux Enfers d’une danseuse étoile obsédée par la perfection, Darren Aronofsky capte l’ambiguïté d’un milieu cruel où le plaisir doit s’effacer dans la douleur. La chair meurtrie, sexuellement frustrée par l’autorité matricielle, n’est là que pour faire corps avec l’œuvre, pour rassembler la réalité et la fiction. Quand elles se rejoignent dans un final en forme de climax virevoltant, l’artiste a disparu derrière le personnage et le retentissement de sa schizophrénie explose au grand jour.

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Nourri par les références de Répulsion ou La Mouche, animé par le dessein des Chaussons Rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger, le cinquième long-métrage du cinéaste rend hommage à ces interprètes qui donnent leur vie et s’oublient pour l’amour de l’art. Avec une imagerie symbolique troublante (l’idée de la pénétration totalement assumée), il vient bousculer les codes du thriller fantastique pour le transformer en choc visuel et psychologique. Las, la duplicité nouée par le jeu de rôles entre Odette et Odile y exulte à travers la performance incandescente de Natalie Portman, entièrement investie sous les traits d’une jeune femme encore trop candide pour étreindre la naissance de ses désirs.

Sous cet objet de fascination, Darren Aronofsky construit une cascade de ricochets où les miroirs achèvent de renvoyer à chacun leurs efforts, leurs fautes et leurs contradictions. Extirpant le summum du potentiel horrifique de son point de départ, il retravaille à l’extrême les figures de métamorphose et de mutation des corps pour mieux faire déborder la scène en coulisses. La danse se retrouve alors filmée comme rarement, saisie sur le vif d’un mouvement, sur la puissance d’une expression en laissant ressentir viscéralement au public l’exaltation du spectacle et l’ensorcellement des projecteurs.


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