still_hippocrate-serie

HIPPOCRATE : une série encore plus politique que médicale ?

Alors que son entreprise est en train de licencier ses employés, Peter Gibbons décide de ne plus se rendre au travail. Lorsque ces licenciements affectent deux de ses amis, les trois collègues ont bien l’intention de prendre leur revanche. Pour arriver à leurs fins, ils ont alors l’idée de planter un virus dans les ordinateurs de leur ancienne compagnie afin de détourner son argent.

CRITIQUE DU FILM

Bleu de travail, bleus au travail ✊
Alors qu’il est encore médecin et que son premier long-métrage, Les yeux bandés, a été un échec, Thomas Lilti envisage de se tourner vers la télévision pour réaliser une série sur l’univers hospitalier. Aucune chaîne ne veut du projet, qui finit néanmoins par donner naissance à un long-métrage, Hippocrate, sorti au cinéma en 2014. Dans ce film, Thomas Lilti dresse un portrait réaliste de l’hôpital public français à travers les premier pas d’un interne en médecine. Le film obtient un joli succès public et critique et permet au réalisateur de se faire un nom.

Thomas Lilti n’a pour autant pas abandonné l’idée de sa série, qui lui permettrait de développer davantage les thématiques abordées dans le film, et particulièrement la dégradation du système de santé et les problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés les soignants dans les hôpitaux. La série Hippocrate finit par voir le jour en 2018 et compte à ce jour 3 saisons.

Reprise de service

Si le long métrage se voulait très réaliste, la série, ne pouvant se contenter de juste décrire l’univers hospitalier au risque de s’essouffler assez rapidement, va pousser plus loin les curseurs de sa narration quitte à s’émanciper de la réalité et forcer le trait. Un parti pris assumé par Thomas Lilti, qui cependant essaie tant que possible de rester vraisemblable. Pour sa première saison, il veut plonger littéralement ses internes au cœur de l’action en les laissant seul·e·s au commandes d’un service. Si une telle situation reste peu probable dans la réalité, elle a le mérite d’être très forte d’un point de vue narratif.

Hippocrate saison 1

Par ailleurs, un des buts de Thomas Lilti avec cette série est certes de faire un état des lieux du monde médical, mais aussi de se projeter vers l’avenir et d’anticiper ce qui pourrait advenir si les choses continuaient à aller dans le mauvais sens. La saison 1 est diffusée en 2018, la crise du Covid n’a pas encore eu lieu, et pourtant Hippocrate montre déjà un service vidé de ses soignants à cause d’une quarantaine. Si on n’a pas vu de service hospitalier ne tourner qu’avec des internes en 2020, des médecins retraités ont bien repris du service comme dans la série…

Thomas Lilti choisit pour la première saison de placer l’action au sein d’un service de médecine interne, permettant ainsi d’explorer un champ médical assez large (avec notamment un intérêt particulier sur la transition de genre), mais également d’évoquer le manque de place dans les hôpitaux et l’obligation de placer des patient·e·s dans des services qui ne sont pas les plus adaptés pour eux, mettant parfois les soignants en difficulté.

À bout de souffle

Progressivement la série va changer de cadre, en faisant venir les urgences dans le service de médecine interne dans la saison 2, écrite avant le Covid mais tournée au beau milieu de la crise et qui s’est ainsi retrouvée dépassée par la réalité. On y voit les prémisses d’un système à bout de souffle, avec des soignant·e·s ayant de plus en plus de mal à faire face et des relations avec les patient·e·s qui se tendent. Dans la saison 3, sortie en 2024, l’hôpital est réellement en train de s’écrouler. Pour remédier au manque de personnel, les urgences décident de fermer leurs portes la nuit pendant l’été, une solution pour préserver la santé des soignants et éviter de retomber dans le chaos évoqué dans la saison 2, mais qui va poser le problème de l’accueil des patients.

Thomas Lilti part du constat réel de l’adaptation d’ouverture des services d’urgences pour envisager ce que cette situation peut entrainer à court terme. Si la série va loin avec la création par une partie du personnel d’un service clandestin, c’est pour mieux avertir sur les risques d’un hôpital ne pouvant plus prendre en charge correctement les patients.

Hippocrate saison 2

Au-delà de la situation générale de l’hôpital, Hippocrate parle bien évidemment des soignants. Thomas Lilti a donné aux trois internes principaux de sa série des profils types qui peuvent régulièrement être rencontrés parmi les étudiants. Hugo, interprété par le sensible Zacharie Chasseriaud, est sûrement le personnage qui se rapproche le plus de celui incarné par Vincent Lacoste dans le film de 2014. Fils d’une médecin, il marche logiquement dans les pas de sa mère, mais en ayant du mal à supporter le poids de cet héritage. À l’inverse, Alyson, interprétée par la pétillante Alice Belaïdi, est encore peu coutumière de l’univers médical et doit faire ses armes. Enfin, Chloé, campée par la toujours parfaite Louise Bourgoin (bien qu’un peu trop âgée pour le rôle), est l’archétype de l’interne avec un certain ego, qui sait ce qu’elle veut et qui fera tout pour y arriver.

La série va s’attacher à voir grandir ces apprentis médecins, qui apprennent la difficulté d’un métier où l’on est confronté sans cesse à des situations difficiles et à un stress permanent, où une erreur peut avoir des répercussions dramatiques. Les étudiant·e·s vont aussi composer avec un environnement qui devrait s’attacher à leur apporter le plus de sérénité possible, mais qui, au contraire, tend de plus en plus à exacerber les difficultés de leur métier.

Par ailleurs, le réalisateur a souhaité de nouveau parler des médecins étrangers, ce qui est louable. Cependant si le médecin interprété par Reda Kateb dans le film de 2014 sonnait juste, on peine ici un peu à croire au personnage d’Arben. Bien que très attachant et admirablement interprété par Karim Leklou, l’idée du médecin légiste d’un coup débarqué dans un service de médecine interne sonne plutôt faux, et la révélation de la fin de la saison 1 ne facilitera pas la crédibilité de la situation. L’excellent Bouli Lanners incarne quant à lui un chef des urgences complexe, à la fois exigeant et compatissant avec son personnel.

Hippocrate saison 3

Travailler, perdre sa santé

Autour d’eux gravitent de nombreux seconds rôles, dont on retiendra notamment Igor (Théo Navarro-Mussy) qui, à lui seul, permet de représenter toute la pression, la charge mentale et la détresse ressentie par de nombreux internes en France. On regrettera par contre que la série s’attarde surtout sur les médecins et ne laisse qu’une mince place aux autres soignants. On soulignera quand même le rôle tenu par Sylvie Lachat, infirmière en chef très attachée à défendre les conditions de travail de ses collègues. Enfin, la prestation de Géraldine Nakache en directrice de l’hôpital est également à saluer, la comédienne réussissant à apporter la nuance nécessaire pour ne pas faire tomber le personnage dans la caricature.

On parle souvent d’Hippocrate comme de la série la plus réaliste sur le monde de l’hôpital. Il est indéniable que, sur la forme, Thomas Lilti, réalisateur de l’ensemble des épisodes (c’est assez rare pour le préciser), a cherché à toucher au plus près de la réalité en tournant dans l’aile désaffectée d’un hôpital parisien, en essayant d’être le plus juste possible dans les gestes, en tentant de retranscrire à l’écran l’ambiance si particulière de l’hôpital… Sur le fond par contre, la série assume clairement sa part de fiction, mais s’inspire de la réalité pour venir mettre en exergue la situation actuelle du monde la santé en France et tirer la sonnette d’alarme. En ce sens, il serait finalement plus juste de dire qu’Hippocrate est peut-être la série la plus politique sur l’univers hospitalier.


Cycle Chroniques du labeur

Bleu de travail, bleus au travail