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SORDA

Sourde de naissance, Angela attend son premier enfant. Malgré le soutien de son compagnon, elle s’inquiète : saura-t-elle créer un lien avec sa fille ? Comment apprendre à devenir mère dans un monde qui oublie souvent d’inclure ceux qui n’entendent pas ?

Critique du film

Présenté en séance spéciale au Festival du Film de Société de Royan, Sorda est né des conversations entre la réalisatrice espagnole Eva Libertad et sa sœur Miriam Garlo, actrice et sourde, lorsque cette dernière envisageait de devenir mère. Ce dialogue intime a d’abord donné naissance à un court-métrage multirécompensé, nominé aux Goya en 2023, avant de s’épanouir en long-métrage. Le film a triomphé à la Berlinale 2025, remportant le Prix du public de la section Panorama, puis six distinctions au Festival de Málaga dont les prix du Meilleur Film, de la Meilleure Actrice et du Meilleur Acteur, avant d’être sélectionné parmi les trois finalistes pour représenter l’Espagne aux Oscars 2026.

Ángela et Héctor s’aiment depuis trois ans et attendent leur premier enfant. En apparence, rien ne distingue cette grossesse d’une autre : on discute prénoms, on prépare l’arrivée du bébé. Pourtant, une différence centrale traverse leur couple. Elle est sourde, lui entendant. Cette réalité, en partie intégrée par le couple et leurs proches, ressurgit avec force lorsque leur fille Ona naît entendante. Comment Ángela créera-t-elle un lien avec cette enfant qui n’entendra pas le monde comme elle ne l’entend pas ? Comment communiquer dans une société qui oublie trop souvent d’inclure celles et ceux qui vivent dans le silence ? Progressivement, tandis qu’Héctor partage naturellement des moments de complicité sonore avec sa fille, Ángela accumule les petites frustrations qui creusent une distance douloureuse. Ce déséquilibre sournois menace de fissurer le cocon familial.

Parle avec elle(s)

Eva Libertad, également diplômée en sociologie, filme ce récit avec une délicatesse rare. Elle refuse de lisser la réalité ou de tomber dans le mélodrame facile. Son écriture ciselée explore avec empathie les micro-agressions du quotidien, les frustrations accumulées, la solitude d’une femme isolée par sa surdité dans un monde fait pour les entendants. Le travail du son devient lui-même un langage cinématographique, nous rapprochant intimement de la perspective d’Ángela, jusqu’à ce dernier segment bouleversant où nous ressentons physiquement les épreuves imposées par une société validiste.

Sorda

Miriam Garlo, première actrice sourde à porter un long-métrage espagnol, livre une performance d’une justesse stupéfiante. Son Ángela rayonne de joie, de tendresse, mais aussi d’une vulnérabilité poignante face à l’isolement imposé dans une société insuffisamment adaptée. Face à elle, Álvaro Cervantes compose un Héctor bienveillant qui, malgré tout son amour, participe involontairement à l’exclusion de sa compagne. Leur duo est profondément attachant, porté par une complicité naturelle qui rend d’autant plus déchirante la dérive progressive de leur relation. Les deux comédien·ne·s partagent notamment une scène de naissance particulièrement douloureuse, où le système médical révèle toute son inadéquation face aux besoins des personnes sourdes.

Sorda transcende son sujet spécifique pour toucher à l’universel : la transmission, le lien mère-fille, la peur de ne pas être à la hauteur. Mais il n’oublie jamais la particularité d’Ángela, cette solitude amplifiée par une société qui refuse d’évoluer vers l’inclusivité. Le film déborde d’empathie, de joie et d’humanité, célébrant la beauté d’un amour qui persiste malgré les obstacles. Une manière pour la réalisatrice de sensibiliser les consciences à ces réalités trop souvent invisibilisées et un récit précieux, singulier et tendre, qui célèbre la diversité humaine.


1er avril 2026 – D’Eva Libertad García
Avec Miriam GarloÁlvaro CervantesElena Irureta


Festival du film de société de Royan (5e édition)