RESSOURCES HUMAINES
Franck, jeune étudiant dans une grande école de commerce, revient chez ses parents le temps d’un stage qu’il doit faire dans l’usine où son père est ouvrier depuis trente ans. Affecté au service des ressources humaines, il se croit de taille a bousculer le conservatisme de la direction qui a du mal à mener les négociations sur la réduction du temps de travail. Jusqu’au jour ou il découvre que son travail sert de paravent a un plan de restructuration prévoyant le licenciement de douze personnes, dont son père.
CRITIQUE DU FILM
Les temps modernes
Dans Ressources humaines, Cantet filmait la confrontation entre deux générations : Franck, jeune diplômé d’école de commerce, revient faire un stage dans l’usine où travaille son père depuis trente ans. Ce retour, d’abord chargé de fierté et de reconnaissance sociale, tourne vite au drame intime. Derrière les discours sur « la modernisation » et « la flexibilité », le jeune homme découvre la réalité brutale de la gestion des « ressources humaines ». Ce ne sont plus les machines que l’on change, mais les hommes que l’on réorganise.
Le film met à nu les mécanismes d’un management déshumanisé, dont la novlangue — mobilité, adaptabilité, optimisation — s’impose aujourd’hui jusque dans les services publics. Ce que Cantet anticipait, c’est ce glissement du langage et du pouvoir, où le management n’est plus seulement un outil de production, mais une idéologie, une façon de modeler les comportements, d’étouffer la contestation par une domination insidieuse. Alors que le gouvernement Macron multiplie les réformes vantant « l’efficacité » et « la performance », fragilise les droits sociaux et de la santé des travailleurs en allongeant leur durée de cotisation, Ressources humaines se lit comme une tragédie du consentement.
Merci, patron !
Ce drame intime — la trahison d’un fils chargé de participer au plan social qui condamne son propre père — dit tout du conflit moral au cœur du capitalisme contemporain. Comment concilier réussite individuelle et loyauté collective ? Comment défendre son avenir sans renier ses origines ? Cantet filme cette fracture sociale et affective avec une précision documentaire et une douceur presque pudique, laissant éclater la violence non pas dans les cris, mais dans les non-dits et la retenue.

En redonnant chair aux visages des ouvriers, en filmant la parole syndicale sans caricature, le cinéaste offrait un rare portrait politique du travail, à hauteur d’homme. Un quart de siècle plus tard, à l’heure des burn-out, des algorithmes de productivité et de la surveillance numérique — comme l’illustre On Falling de Laura Carreira, fable glaçante sur la déshumanisation technologique à voir en salle dès le 29 octobre — Ressources humaines apparaît comme une œuvre tristement visionnaire, presque prophétique : celle d’un monde où le travail, loin d’émanciper, aliène et divise.
Indignez-vous !
Mais loin d’être isolé, le film de Cantet s’inscrit aujourd’hui dans une renaissance du cinéma politique : une génération de cinéastes — de Thomas Kruithoff à Léa Fehner, d’Eric Gravel à Thomas Lilti — renouvelle le regard sur la société, les luttes et les corps en résistance, au cœur d’un système au bord de l’implosion. Dans ce contexte, revoir Ressources humaines, c’est mesurer combien le cinéma peut encore éclairer l’urgence des luttes, et rappeler qu’il n’y a pas de politique sans émotion, ni d’émotion sans regard social.






