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OUI

Israël au lendemain du 7 octobre. Y., musicien de jazz précaire, et sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leur corps aux plus offrants, apportent plaisir et consolation à leur pays qui saigne. Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national.

Critique du film

Sniffer de la cocaïne sur des fesses nues, sucer un gode en public, lécher des chaussures : tels sont les gestes obscènes et humiliants que Nadav Lapid inflige au couple de son nouveau film, Oui (Yes), présenté en mai dernier à la Quinzaine des Cinéastes. Y et Yasmina, personnages dégradés par un cinéaste à la fois survolté et dépité, apparaissent comme deux bouffons soumis aux riches et aux puissants d’un gouvernement israélien gangréné par l’hystérie propagandiste et nationaliste. Y s’enfonce davantage dans cette folie lorsqu’on lui demande d’écrire un nouvel hymne israélien appelant à la destruction de Gaza.

Si les précédents films de Nadav Lapid vibraient d’une rage synonyme de révolte et de refus de compromission, Oui laisse le cynisme prendre le dessus. Plutôt que d’offrir des motifs d’espoir, la création artistique déforme ici le réel. Dans une approche maximaliste, les traits sont exagérés au point de devenir caricaturaux. La subtilité est poussée vers la sortie, ne laissant place qu’à une critique brutale et acerbe de la violence exercée par le gouvernement israélien contre les Gazaouis.

Dans Oui, l’identité israélienne est indissociable d’une mutilation de la dignité : être fier de son pays revient à porter la culpabilité des bombardements qui ont réduit Gaza en ruines. Y déclare ainsi que ses compatriotes « ne sont pas faciles à aimer ». Si le dicton veut que l’amour rende aveugle, Lapid en inverse le sens : pour aimer Israël, il faudrait fermer les yeux. Mais ses personnages ne peuvent résister au poids de l’actualité, sans cesse rattrapés par les notifications assourdissantes de leurs téléphones annonçant la mort de dizaines de Gazaouis. À la lecture des articles, l’horreur est relayée au spectateur par des sons de bombardements et les cris insoutenables des victimes.

Oui nadav lapid

Ces bruits se transforment, dans la seconde partie du film, en images tirées du réel. Dans une scène sidérante, Lapid filme directement la désolation de Gaza, survolée par d’immenses volutes de fumée noire provoquées par les bombardements. Dans un Festival de Cannes marqué par des films reflétant l’instabilité géopolitique mondiale, cette séquence, associée au décès tragique de Fatma Hassona – protagoniste du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk – a rendu la frontière entre cinéma et réalité presque poreuse.

La docilité de Y est soulignée avec une brutalité assumée par une mise en scène survoltée et débridée. Les effets de style criards du premier chapitre, les mouvements de caméra non orthodoxes, traduisent le libre arbitre d’un cinéaste qui tente désespérément de remodeler le réel. Mais, même dans cette fuite hors du naturalisme, ces outrances visuelles ne révèlent qu’une seule chose : l’image d’un pays malade, dirigé par des hommes corrompus, cruels et abjects.

On pourra reprocher à ce véritable « film cerveau » de trop appuyer son propos, au risque d’écraser le spectateur – voire de l’accuser, comme dans une scène étrange où un personnage s’adresse directement à la caméra. Mais malgré ces réserves, il est indéniable que Nadav Lapid signe un film important, cristallisant avec une précision saisissante, malgré son chaos apparent, le mal-être d’un réalisateur face à sa propre communauté et à son pays, qu’il a quitté en 2021 pour s’installer à Paris.

Bande-annonce

17 septembre 2025 – De Nadav Lapid