LITTLE TROUBLE GIRLS
Lucia, 16 ans, une jeune fille introvertie, rejoint la chorale féminine de son école catholique, où elle se lie d’amitié avec Ana-Maria, une étudiante de troisième année populaire et séduisante. Mais lorsque la chorale se rend dans un couvent à la campagne pour un week-end de répétitions intensives, l’intérêt de Lucia pour un ouvrier au regard sombre met à l’épreuve son amitié avec Ana-Maria et les autres filles. Confrontée à un environnement inconnu et à l’éveil de sa sexualité, Lucia commence à remettre en question ses croyances et ses valeurs, perturbant l’harmonie du chœur.
Critique du film
Révélée par une série de courts métrages remarqués — The Right One présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2019, puis surtout La Vie sexuelle de Mamie, couronné du César du court métrage en 2023 —, Urška Djukić signe avec Little Trouble Girls un premier long-métrage d’une beauté rare. Développé lors de la Résidence de la Cinéfondation et primé au Festival des Arcs avant de connaître sa première mondiale à la Berlinale (section Perspectives) couronnée du prix Fipresci, le film naît d’une image fondatrice, celle d’une chorale de jeunes filles et de leurs voix puissantes au seuil de la puberté. Un vertige, une tension secrète, un film qui naît de ce trouble.
Ce trouble, elle le déploie en suivant Lucia, 16 ans, élève d’un lycée catholique, qui rejoint une chorale exclusivement féminine. Elle s’y lie à la magnétique Ana-Maria, avant qu’un week-end d’entraînement dans un couvent ne vienne fissurer cette amitié fusionnelle. L’emprise du groupe, l’effervescence des corps, l’irruption d’un désir diffus — pour un ouvrier, pour une amie, pour elle-même aussi — composent la matière émotionnelle du film. Mais Djukić refuse tout didactisme psychologique. Little Trouble Girls est moins un récit qu’un cheminement intérieur, où les sensations priment sur les dialogues, où l’éveil du corps devient langage, et où l’adolescence se joue dans l’interstice entre foi, culpabilité et pulsions.
La cinéaste aborde frontalement les enjeux liés à la culpabilité catholique, aux injonctions adressées aux « bonnes filles », à la sexualité taboue — thèmes qui traversent son œuvre, et qui trouvent ici un écho particulier dans cette chorale filmée comme une communauté régulée par le rituel, la discipline et la douceur factice. Le choix de recréer une véritable chorale, entraînée pendant des mois, confère une authenticité vibrante aux scènes de chant, où la puissance collective des voix se double d’une exploration des désirs individuels.

Filmé avec une tendresse que Djukić revendique comme mot d’ordre, le parcours de Lucia s’inscrit dans la tradition des récits d’émancipation féminine, mais avec une singularité : la cinéaste y infuse une dimension quasi mystique, où la découverte de soi passe par une écoute attentive du corps, de ses vibrations comme de ses intuitions. La relation entre Lucia et Ana-Maria, volontairement insaisissable, oscille ainsi entre fascination, amitié, envie, désir inavoué : une zone grise, libre de tout étiquetage, qui reflète la complexité des identités en formation.
À travers ce mélange audacieux de fable lyrique, de réalisme sensoriel et de récit d’apprentissage, Djukić signe un premier long-métrage d’une maîtrise rare, porté par la lumineuse Jara Sofija Ostan. Little Trouble Girls est un film sur ce moment fragile où l’on bascule de l’enfance à l’âge adulte, un moment où l’on chante pour mieux s’entendre soi-même : un chant d’émancipation, viscéral, sensuel et profondément vivant.
Bande-annonce
11 mars 2026 – De Urška Djukić






