LE SEL DE LA TERRE
Dans une ville minière du Nouveau Mexique, les mineurs d’origine mexicaine se mettent en grève. Ils veulent bénéficier des mêmes avantages que les travailleurs blancs. La participation des femmes, tout d’abord réprouvée par les hommes, s’avère vite efficace. Un film qui réunit sur son plateau plusieurs des victimes du Maccarthysme. Réalisé en 1953, il ne put sortir qu’à la fin de l’année 1965.
Critique du film
Bleu de travail, bleus au travail ✊
Né des cendres du maccarthysme, Le Sel de la Terre (1954) de Herbert J. Biberman s’articule autour du récit d’une grève de mineurs mexicains au Nouveau-Mexique. Derrière cette chronique sociale apparemment circonscrite à une lutte locale, le film dévoile une fresque plus vaste : celle d’une exploitation économique doublée d’un racisme structurel et d’un patriarcat tenace, que l’intervention décisive des femmes viendra bouleverser.
En 1947, le Comité des activités supposément anti-américaines déclenche une chasse aux sorcières qui frappe de plein fouet Hollywood, soupçonné de complaisance envers les idées communistes. Dix cinéastes et scénaristes, bientôt connus sous le nom des « Dix d’Hollywood », refusent de se soumettre aux injonctions inquisitoriales et sont condamnés à un bannissement professionnel sans appel. Parmi eux, Herbert J. Biberman, réduit au silence par le système des listes noires, choisit de rompre ses chaînes en donnant naissance à une œuvre conçue hors des circuits officiels. Tourné avec une équipe réduite, des acteurs non-professionnels et la participation directe des mineurs et de leurs familles, Le Sel de la Terre surgit ainsi comme un manifeste : non seulement une dénonciation des oppressions sociales, mais aussi une déclaration d’indépendance esthétique, un cinéma insurgé s’érigeant face à l’ordre idéologique dominant.
Lutte collective
Bien avant que le terme « intersectionnalité » ne soit imaginé, le film en incarne l’intuition fulgurante. Les mineurs mexicains apparaissent doublement dominés, exploités dans leur labeur et méprisés dans leur identité ethnique. Mais à cette oppression se superpose celle des femmes, assignées au silence domestique et reléguées aux marges de la lutte par leurs époux. C’est pourtant leur irruption sur le piquet de grève, lorsque la loi interdit aux hommes de manifester, qui renverse l’ordre établi : elles revendiquent leur droit à l’égalité et inscrivent leurs voix dans l’histoire collective. Ainsi, en entrelaçant les lignes de fracture de classe, d’ethnie et de genre, Biberman compose une fresque des solidarités croisées qui résonne avec une étonnante clairvoyance.

Dans ce récit, la lutte dépasse largement l’affrontement contre un employeur injuste : elle se mue en un processus d’émancipation à la fois intime et collective. Les mineurs, d’abord résignés, se découvrent une force insoupçonnée dans la solidarité, arrachant une dignité qui excède la seule revendication matérielle. Les femmes, quant à elles, franchissent le seuil du foyer pour investir l’espace politique, conquérant ainsi une autonomie nouvelle. Cette double émancipation (communautaire et individuelle) souligne une vérité universelle : l’égalité n’est jamais octroyée, elle se conquiert dans le tumulte de la lutte partagée.
En conjuguant récit de grève, critique sociale et affirmation féministe, Le Sel de la Terre s’impose comme une œuvre hors norme : fruit amer de la répression, il se déploie pourtant comme un hymne à l’émancipation. Héritier de la marginalisation des « Dix d’Hollywood », il préfigure les réflexions intersectionnelles contemporaines et rappelle que la dignité humaine n’éclot que dans le combat collectif. Hier muselé par la censure, il se dresse aujourd’hui avec la vigueur intacte d’un appel : penser les luttes sociales à la croisée des oppressions pour y puiser une force de résistance toujours vive.






