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LA COQUILLE ET LE CLERGYMAN

Un homme habillé de noir, un clergyman, verse, à l’aide d’une grande coquille d’huître, un liquide noir dans des flacons qu’il brise ensuite. Une porte s’ouvre, un officier couvert de médailles apparaît, brise la coquille avec son sabre et sort. Le clergyman le suit à quatre pattes jusque dans la rue…

Critique du film

Refusant la linéarité narrative, Germaine Dulac déploie avec La Coquille et le Clergyman (1928) une véritable rêverie filmique, où la logique du cauchemar se substitue à celle du récit et où chaque image, tel un éclat d’inconscient, révèle les convulsions d’un désir interdit. À travers la figure d’un prêtre déchiré entre pulsion charnelle et dogme moral, le film explore les tensions souterraines entre élan vital et répression, entre pouvoir spirituel et vertige sensuel. Cinéaste d’avant-garde, pionnière d’un « cinéma pur » affranchi des codes théâtraux, Dulac fait de l’écran un espace de révélation intérieure, affirmant ainsi la puissance du septième art comme langage du rêve et des profondeurs psychiques.

Elle substitue à la narration traditionnelle un enchaînement d’images où la logique du rêve règne en maître. Ruptures temporelles, reflets démultipliés et métamorphoses incessantes traduisent les mouvements d’un inconscient en proie au désir. La coquille, métaphore d’une féminité attirante et interdite, tout comme les gestes obsessionnels du prêtre, donnent forme à cette pulsion que la morale tente de contenir. Ce trouble intime se double d’un affrontement symbolique entre le clergyman et le général, figures rivales du pouvoir religieux et militaire qui, chacun à sa manière, cherchent à dompter le corps et discipliner le désir. La femme, réduite à l’objet de leur rivalité, révèle l’hypocrisie d’institutions qui répriment tout en excitant la tentation.

la coquille et le clergyman

En orchestrant ce ballet d’images et de forces contraires, Dulac affirme la puissance du cinéma comme art autonome. Proche du surréalisme théorisé par André Breton, dont le Manifeste célébrait la libération des automatismes psychiques, elle transpose à l’écran l’exploration de l’inconscient que la littérature cherchait à atteindre par l’écriture automatique. Mais fidèle à son idéal d’un « cinéma pur », elle dépasse la simple illustration du programme bretonien : lumière, rythme et mouvement deviennent le langage même de l’esprit, délivré des chaînes du récit. Femme pionnière dans un univers masculin, elle inscrit ainsi son œuvre dans une double conquête : celle d’un art affranchi des codes et celle d’un regard féminin capable de sonder les pulsions que la société s’acharne à voiler.

La Coquille et le Clergyman s’impose moins comme un récit que comme une exploration de l’inconscient, où l’image, affranchie du narratif, épouse le flux du désir. En détournant la provocation d’Artaud, Germaine Dulac dépasse l’illustration surréaliste pour inventer une poétique propre, où la liberté des songes célébrée par Breton se conjugue à l’exigence d’un cinéma véritablement autonome. Elle ouvre ainsi au septième art un territoire inédit, capable de traduire la profondeur des pulsions humaines tout en affirmant sa singularité expressive.


Le film est visible en intégralité sur Youtube


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