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ELLE ENTEND PAS LA MOTO

À la veille d’une célébration familiale, Manon, jeune femme sourde et lumineuse, rejoint ses parents en Haute-Savoie. Dans la beauté des paysages alpestres, l’histoire du clan se redéploie entre archives familiales et images filmées par la réalisatrice depuis 25 ans. Porté par la force intérieure de Manon, le film trace un chemin d’épreuve et de résilience. La parole émerge enfin, là où le silence a longtemps régné.

Critique du film

Parmi toutes les raisons d’aimer un film dont nous disposons, certaines prévalent, qu’il s’agisse d’innovation, d’engagement ou de méticulosité. Il est assez fréquent de résumer l’ambition d’une œuvre à un mot, une manière-valise d’englober tout ce qui paraît faire du film la somme d’une entreprise réussie. Dans le cas du documentaire de Dominique Fischbach, ce n’est pas tant un mot qui prime mais un concept : l’investissement. Faire du documentaire, c’est avant tout donner de son temps au réel afin de le placer au cœur d’une œuvre. Avec Elle entend pas la moto, le temps est donné aux humains, à ceux qui peinent à exister ou continuer d’exister. L’œuvre devient le ciment entre le spectateur et des individus qu’il ne connaît à priori pas, un immense travail d’empathie qui n’abandonne personne en cours de route, pas même ceux qui ne sont plus là.

Premier film de la réalisatrice à paraître au cinéma, Elle entend pas la moto est pourtant issu d’une sorte de « saga » contemporaine. Manon et sa famille sont, depuis 25 ans, au centre de plusieurs documentaires, prenant pour thème la surdité de Manon, mais également son caractère. Jamais objets d’études, les véritables personnes filmées débordent d’une humanité s’étendant au-delà du cadre documentaire. Phénomène magnifiquement retranscrit dans Elle entend pas la moto, au sein duquel la famille se retrouve pour commémorer mais aussi se livrer, pas seulement par les mots ou les signes, avant tout par les attitudes, les comportements des uns envers les autres. S’installe alors un jeu entre spectateurs et protagonistes, les premiers apprenant à connaître cette famille, ses drames, ses joies et ses combats tandis que Manon et ses parents basculent dans le temps, se remémorent les événements passés, les obstacles surmontés.

Elle entend pas la moto

La reconstruction prend plusieurs formes au sein du long-métrage, il s’agit d’abord d’une reconstruction émotionnelle. La famille a vécu un drame, le suicide de Maxime, petit frère de Manon, atteint de la même invalidité. Est-ce un accident ? Un ras-le-bol total ? Un acte désespéré ? Malgré la gravité de la situation, le sujet est abordé frontalement devant la caméra, sans tabou. C’est avec un naturel étonnant que chacun livre ses pensées, ses difficultés à tourner la page ou à simplement « faire avec ». Les signes et les mots se confondent, les deux ne permettant jamais de rendre justice à Maxime, personnalité solaire n’ayant visiblement eu que le soutien de sa famille au sein d’un système où la lutte était constante. L’ajout de Dominique Fischbach à ce deuil possède quelque chose de rare, le documentaire en lui-même fait revivre Maxime, pas seulement l’espace d’un instant, mais à travers le temps et les sentiments. Le fils de Manon devient ainsi l’analogue vivant de son oncle disparu, la continuité d’une existence qui n’aurait jamais dû s’arrêter.

Au fond, ce qui marque, c’est la combativité constante de chacun.e. La force de Manon se révèle dans une scène finale où la chronicité de sa surdité devient flagrante. Le mur construit par son père tout au long du documentaire a des airs de murailles protectrices à mesure que l’homme se livre sur ses fêlures. Cette sœur et cette mère, grignotées par les événements ne lâchent quant à elles jamais leur capacité à protéger les leurs, la famille incarne alors une robustesse à toute épreuve. Tout le monde s’exprime si différemment dans Elle entend pas la moto que les paroles semblent avoir été dépassées par les actes. Ce ne sont plus les phrases qu’on échange qui transcrivent les émotions mais les moments durant lesquels elles sortent, le rapport physique que chacun entretient à l’autre dans ce paysage montagnard idyllique. Une larme, un rire, un signe de tête devant une vidéo d’enfance ou au détour d’une activité quotidienne en disent parfois plus que toutes les mots prononcés.

L’œuvre de Dominique Fischbach montre des humains sous toutes leurs coutures, elle se refuse au style didactique tout en réussissant à sensibiliser aux causes évoquées. Tour de force véritablement compréhensif, Elle entend pas la moto compte parmi les plus beaux documentaires de cette année 2025, une course à la vie sur les sentiers sinueux de l’existence. Si on ne choisit pas sa famille, c’est peut-être parfois pour le pire, mais nul doute qu’ici, ce fut pour le meilleur.

Bande-annonce

10 décembre 2025 – De  Dominique Fischbach


Festival du film de société de Royan (5e édition)


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