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À 2000M D’ANDRIIVKA

Une section ukrainienne doit traverser un kilomètre de forêt lourdement fortifiée afin de libérer un village stratégique de l’occupation russe. Le réalisateur de 20 jours à Marioupol troque le temps pour la distance, afin de narrer l’horreur du conflit russo-ukrainien par le prisme de ceux qui défendent désormais le pays.

Critique du film

Le cœur de la guerre, l’avons-nous seulement contemplé ? Nous, générations occidentales nées après les plus grands affres du monde. Les conflits nous paraissent lointains, et pourtant désormais si proches à travers les images permanentes relayées par les réseaux sociaux, les médias et les journaux télévisés. Mais le cœur de la guerre est semblable à l’œil du cyclone, point de convergence d’une violence inouïe — une violence que l’on ne peut imaginer sans avoir été confronté aux témoignages bruts de damnés ayant succombé à son étreinte. Mstyslav Chernov fait partie de ces âmes errantes, arpentant les ruines de sa propre civilisation pour filmer le spectre de la guerre, fauchant un à un les factionnaires enragés qui s’affrontent sur un champ de bataille dont il ne restera que le nom.

Dans 20 jours à Marioupol, alors que le cinéaste-journaliste tente de rejoindre un hôpital civil ukrainien, il se heurte à des soldats réticents à le laisser pénétrer en zone de guerre. Après un échange infructueux, Chernov leur déclare : « Vous devez comprendre que cette guerre est historique, on ne peut pas se permettre de ne pas la documenter. » La distinction est claire : il ne s’agit pas simplement de cinéma. Malgré les fauteuils du spectateur, l’écran large et le ticket acheté, la diffusion de ces images relève d’une nécessité, d’un devoir envers le peuple ukrainien, envers l’Europe, envers le monde. À quoi bon parler de mise en scène quand une enfant meurt devant la caméra, tuée par un missile russe ? Quel sens aurait de disséquer l’image lorsque celle-ci témoigne de la destruction pure et simple de vies humaines en une frappe balistique ? Peut-on vraiment analyser les larmes de ces survivantes, terrées dans un abri anti-aérien, terrassées par la peur de voir leur vie leur être volée ?

A 2000m d'Andriivka

À ces questions légitimes pour le critique, le spectateur ou le simple témoin, il faut répondre avec nuance. À 2000 mètres d’Andriivka montre la mort, pas seulement ses conséquences. La mort est capturée en direct : l’objectif est un œil posé sur des condamnés, avant d’être le miroir d’une réalité encapsulée. Le soldat Gagarin s’éteint aux côtés d’un camarade, agrippant sa main pour le rassurer alors qu’il ne quittera jamais le no man’s land. Le volontaire Freak évoque ses études et son désir de reprendre son cursus avant que la voix désabusée de Chernov n’anticipe ce que la caméra ne filmera pas : la blessure mortelle et le décès soudain du jeune homme. Tout comme la mort a peu de synonymes, elle est ici inévitablement convoquée. Par les mots, les gestes, et même par ce qui reste hors champ.

La vocation d’un tel média visuel est une forme de communication : montrer la mort à ceux qui en ignorent l’intensité et la rapidité, au cœur même de la guerre. L’analyse critique, de bout en bout, devient vaine. Le film de Mstyslav Chernov ne dit pas : il transmet. C’est une œuvre relais, dont l’usage est autant actuel que futur — narrer la violence par le vrai, expliciter qui tue avec barbarie, qui meurt sans cérémonie. L’Ukraine est en ruines. La caméra ne filme plus que le sursis des soldats et les restes d’un État.

Voilà, une nouvelle fois, le cinéma du réel qui frappe à la porte d’une Europe inconsciente.

Bande-annonce

24 septembre 2025 – De Mstyslav Chernov