BENJAMIN VOISIN | Interview
Après Été 85, Benjamin Voisin retrouve François Ozon pour L’Étranger, adaptation du chef-d’œuvre d’Albert Camus présentée à la Mostra de Venise puis au festival De l’écrit à l’écran à Montélimar. Dans la peau de Meursault, l’acteur s’abandonne à un rôle à la fois charnel et absurde, guidé par la mise en scène épurée d’Ozon. Rencontre avec un comédien qui revient sur cette expérience singulière et sur ses choix de carrière.
François Ozon nous confiait qu’il avait d’abord pensé à vous pour un autre projet, autour d’un personnage suicidaire.
Benjamin Voisin : Oui, ça a servi de transition. On n’a pas eu à porter directement la responsabilité de L’Étranger. Lui commençait déjà à réfléchir à comment filmer quelqu’un en marge de la société, et moi j’essayais d’arrêter de « jouer le jeu social », de mentir, de séduire. On avait déjà des pistes.
Finalement, vous avez évité de subir tout de suite le poids de cette œuvre culte.
Exactement. On n’a pas eu cette violence de se dire : « c’est le livre préféré de tout le monde ». C’est venu plus tard, une fois le film terminé.
Pour beaucoup, vous serez désormais le visage de Meursault, comme Rebecca Marder sera celui de Marie pour les collégiens et lycéens.
(rires) J’ai déjà joué Céline au théâtre, donc je suis fiché comme ringard ! Mais oui, il y a quelque chose de vertigineux.
Pour préparer ce rôle, avez-vous relu Camus ou suivi uniquement le canevas de François Ozon ?
J’ai lu 200 fois le roman et 200 fois le scénario. C’est la seule chose que j’ai faite, pendant trois ou quatre mois. Je me suis nourri aussi de lectures plus sombres : Schopenhauer, Paul Valéry… Le pessimisme amène une forme de vérité. Il y a cette phrase de Valéry que j’adore : « Rien n’est plus beau que ce qui n’existe pas ».

François voulait que je sois un modèle plus qu’un acteur. Un acteur impose, un modèle vit. Alors j’ai arrêté de « jouer ». Je ne savais pas ce que je faisais sur le plateau, parfois je me disais : « mais pourquoi je suis là et pas à la mer ? ». Mais ça correspondait à Meursault. Même dans mes réponses à Rebecca à l’écran – « tu m’aimes ? » – ça sortait naturellement : « ça ne veut rien dire ». Je n’ai jamais expliqué un ressenti, j’ai juste vécu.
À Venise, le film a marqué par sa puissance visuelle et cette fidélité mêlée d’audace.
Moi je ne sais pas si le film va plaire ou pas. Ce n’est pas la question. On l’a fait honnêtement, le plus joliment possible. Après, chacun vit sa rencontre avec lui. Mais je crois qu’il reste en tête.
Vos rôles semblent souvent traversés par une lutte intérieure : Été 85, La dernière vie de Simon, Les Âmes sœurs… On vous sent attiré par des personnages en marge.
Peut-être. Sans Camus derrière, je ne sais pas si « L’Étranger » m’aurait intéressé. Moi, je vis une vie banale. Jouer des marginaux, ça me permet de les connaître. Ce que j’aime, c’est la préparation : observer les gens, trouver leur intimité, en tirer quelque chose. Le tournage, je n’aime pas trop, on fige. Mais la préparation, oui.
On vous sent presque tenté par l’écriture, voire la réalisation…
On me le dit souvent. J’ai une vingtaine de scénarios sur mon ordi, mais aucun ne mérite d’être fait aujourd’hui. J’ai la chance qu’on puisse facilement m’accompagner si je voulais réaliser, mais je ne veux pas ajouter des films inutiles aux 350 qui sortent déjà chaque année. Si un jour j’ai une histoire qui peut changer quelque chose pour quelqu’un, je la ferai. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Entretien réalisé lors du 14e festival De l’écrit à l’écran de Montélimar






