ÉCRIRE LA VIE
La cinéaste Claire Simon consacre un portrait original à l’une des autrices majeures de notre époque, en donnant la parole aux élèves et enseignants. Comment l’œuvre d’Annie Ernaux est-elle enseignée dans les collèges, lycées, universités ? Comment est-elle reçue, étudiée, apprise ? Comment la jeunesse d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, s’empare-t-elle des écrits d’Annie Ernaux ?
Critique du film
Donner la parole aux jeunes générations ne sera jamais un acte dérisoire. Dans la veine de Guillaume Brac en ce début d’année, Claire Simon semble avoir parfaitement compris les enjeux entourant la culture et la jeunesse. Le monde se découvre par l’expérience qu’on en fait mais aussi par ce qu’on nous en dit. Or, Annie Ernaux en a beaucoup parlé, peut-être du sien en particulier, mais le documentaire de Claire Simon s’acharne justement à montrer la résonance d’une œuvre ayant dépassé la retranscription personnelle.
Sans jamais se contenter d’un cadre unilatéral, le long-métrage implique une diversité dans la droite veine du public visé par l’écrivaine. Des lycéens du Val-d’Oise en passant par les élèves de Cayenne, l’universalité du propos d’Annie Ernaux est illustrée par une caméra mobile, à la recherche d’avis éclectiques et de points de vue authentiques. Le micro est toujours tendu vers une liberté d’interprétation propre aux individus en construction, un regard incroyablement frais sur les travaux d’une femme ayant traversé les âges. Ce biais d’intemporalité est confirmé tout au long du documentaire, pas tant parce que chacun affirme comprendre de bout en bout les livres, mais davantage grâce à une forme de débat constant. Il n’est pas question de filmer un cours de manière très magistrale, ce sont réellement les lycéennes et lycéens qui s’approprient les mots, les phrases, les événements propres à l’autrice.
Plus qu’une dissection littéraire, il convient de féliciter la captation d’une sorte d’étincelle de compréhension chez bon nombre de ces jeunes élèves, encore à l’aube de leur épanouissement culturel, social et intellectuel. La parole de l’un éclaire une situation familiale complexe, similaire à ce qui a été lu, tandis qu’une autre évoque la ressemblance frappante entre la trajectoire professionnelle d’Annie Ernaux et celle de ses parents. Il serait facile de dire que, dispositif filmique ou non, ces sentiments sont bien réels chez tous les lecteurs ; pour autant, la présence de la caméra permet une certaine liberté d’expression parfois en dehors du cadre scolaire.
On retiendra cette longue séquence conclusive, durant laquelle un groupe de jeunes filles confrontent leurs regards sur les idées de l’autrice, s’interrogent sur son style autobiographique très cru et qui contient pourtant des éléments communs à toutes les existences féminines. L’œuvre personnelle prend un sens collectif que nous pouvons contempler grâce à ces quelques moments immortalisés. Ce recul de la jeunesse sur des sujets allant d’un premier rapport sexuel pas forcément consenti à un avortement dépasse peut-être le simple cadre de la lecture ou même du documentaire. Voir une autrice aussi engagée qu’Annie Ernaux avoir un tel écho auprès de personnes encore en plein développement donne un certain espoir sur l’avenir d’un esprit critique assimilé, conscient.
À l’heure où la jeunesse semble ne plus être la priorité d’une France politiquement instable, l’œuvre de Claire Simon fait forcément du bien, rassure peut-être ; elle est en tout cas la preuve indéniable que les jeunes semblent avoir toujours raison. En mettant en parallèle la jeunesse d’autrefois et celle d’aujourd’hui, le documentaire ne propose pas seulement une évolution chronologique des mentalités et des tabous, il inscrit l’œuvre d’Annie Ernaux dans une mémoire plus globale. Les sujets abordés ont désormais dépassé le stade autobiographique, la volonté de l’autrice est assurément accomplie et Claire Simon prouve en images que le flambeau est passé.
Documentaire réalisé par Claire Simon
Le 3 décembre 2025 sur France 5 et en replay sur france.tv
