JEUNESSE : RETOUR AU PAYS
Le Nouvel An approche et les ateliers textiles de Zhili sont quasi-déserts. Les quelques ouvriers qui restent peinent à se faire payer avant de partir. Des rives du Yangtze aux montagnes du Yunnan, tout le monde rentre célébrer la nouvelle année dans sa ville natale. Pour Shi Wei, c’est aussi l’occasion de se marier, ainsi que pour Fang Lingping. Son mari, ancien informaticien, devra la suivre à Zhili après la cérémonie. L’apprentissage est rude mais ne freine pas l’avènement d’une nouvelle génération d’ouvriers.
Critique du film
Ultime volet et plus court opus de la trilogie, Jeunesse : Retour au pays vient clore le travail pharaonique initié par Wang Bing en 2014. La caméra du réalisateur s’attelle à filmer une facette plus personnelle des différents ouvriers suivis durant ces cinq années consécutives, les ateliers clandestins sont toujours bien là mais, une nouvelle fois, le titre donne le ton. Jeunesse : Retour au pays explore l’envers d’un décor qu’on pensait déjà mis à nu, en allant voir ce qu’il reste de la vie au delà du travail.
Jeunesse : Le Printemps ainsi que Jeunesse : Les tourments se terminaient déjà sur un retour à la maison, qui ne rimait pourtant en rien avec repos. Une vérité crue se dessinait, celle d’une nécessité au travail dans un pays où la ruralité s’effondre, croule sous son manque de moyens et d’accès aux services. Il était donc déjà acté que cette « jeunesse », base évidente du triptyque, ne se tuait pas à la tâche seulement pour survivre, mais également pour faire survivre leurs proches.
Jeunesse : Retour au pays vient poser une dernière question au sujet de cette fameuse jeunesse : a-t-elle le temps de vivre entre toutes ses obligations indispensables à la subsistance de l’individu et du groupe ? Entre un mariage célébré au cœur des montagnes, une plongée dans les branches familiales de plusieurs ouvriers ainsi que des disputes de couple rythmant les pauses au travail, les événements du quotidien semblent toujours faire partie intégrante des existences. Pourtant rien ne semble décorrélé de la situation financière des travailleurs et de leur famille, ici l’argent ne fait pas le bonheur, il le dicte.
Tout ramène sans cesse à la condition précaire de ces habitants ruraux, le trajet introduisant le premier retour au village natal d’un couple pour le Nouvel an chinois en dit plus qu’il n’en faut : le train bondé au sein duquel les travailleurs du textile racontent les accidents de travail, évoquent leurs maigres salaires… La caméra du cinéaste s’efface derrière des conversations montrant la fatigue de tout un monde. Plus tard, c’est une route abrupte, à flanc de montagne, faite de terre et à peine balisée qui vient corroborer les thèses déjà montrées par Wang Bing. La Chine n’a jamais été un pays unifié, elle n’est encore qu’une multitude de provinces dont le développement peine à être équitable. Ici, la disparité saute aux yeux, elle est même moteur de regrets pour les habitants des montagnes du Yunnan, dont les affiches de Mao Zedong encore accrochées aux murs témoignent d’une nostalgie d’un passé pas si glorieux, preuve finale que la situation n’a jamais été aussi ardue pour ces ruraux en marge.
Quelque part, le travail est bel et bien devenu la vie, cet argent sert pour l’un à payer les frais médicaux de son géniteur, atteint d’une tuberculose, pour un autre l’ouvrage finance la dot de son mariage (pourtant désapprouvé par ses parents). Jeunesse : Retour au pays donne du sens aux images que nous avons vues tout au long de la trilogie, ces humains aux gestes de machines font tout pour colmater les brèches, celles de leurs existences mais aussi d’un pays dont ils ne sont pas à l’origine des fuites économiques et sociales.
La domination de la thématique sur la chronologie a donné à chaque long-métrage son propre regard sur cette jeunesse travailleuse tout en permettant de suivre leur évolution, mais cette conclusion se distingue aisément de ses prédécesseurs. L’importance accordée à la spontanéité du projet reste la même, à tel point qu’on peine parfois à croire qu’aucune artificialité ne se soit glissée dans l’ensemble. La vraie différence de ce dernier long-métrage, héritage de quelques 2600 heures de captures vidéos, est de dresser le portrait définitif d’une jeunesse cantonnée au labeur même lors des rares moments d’intimité qu’elle s’impose. Le constat est sans appel : cette jeunesse travaille pour celles et ceux qui ont un jour cru en l’avenir de leur pays. Reste à savoir si cette génération sera la dernière à endurer ce fardeau.
9 juillet 2025 – Documentaire de Wang Bing