RESURRECTION
Un jeune homme rêveur se réincarne dans cinq époques. Tandis que le XXe siècle défile, une femme suit sa trace…
Critique du film
Plaçons un enfant devant le premier acte de Resurrection. Dans son regard, on lirait sans doute une certaine incrédulité face aux images spectaculaires et sensorielles confectionnées par Bi Gan. Passé l’émerveillement suscité par ces formes envoûtantes, rien ne dit que notre enfant comprendrait tout du fond de cette œuvre dense, protéiforme et fragmentée. Peu importe : le film n’a pas été fait pour les enfants, et bien malin celui qui, dès un premier visionnage, peut prétendre en avoir saisi toutes les strates. Malgré son écrin ésotérique, Resurrection suscite sans cesse l’émoi des premières fois. En lui décernant le Prix Spécial lors du dernier festival de Cannes — prix peut-être moins prestigieux que mérité — le jury a néanmoins reconnu l’importance du geste.
Le passage de Bi Gan dans un festival est toujours un événement. On se souvient de la jubilation qui avait entouré la projection de Kaili Blues au Festival de Locarno en 2015, notamment grâce à son plan-séquence de quarante minutes. Quarante minutes : à peine la durée de chacune des cinq mini-histoires qui composent Resurrection.

Chaque vignette possède sa propre patte artistique, son ambiance et ses personnages. Enfin, pas tout à fait : le fil rouge entre les chapitres réside dans la présence, sous des formes différentes mais toujours masculines, du « revoleur ». Cet être chimérique, mi-homme mi-monstre, révèle à une femme (Shu Qi), et au spectateur, des souvenirs cryptiques qui ressemblent davantage à des rêves — ou à des cauchemars — qu’à des flashbacks.
Comme ciment, ces blocs narratifs ont l’histoire du cinéma elle-même. À la fois orfèvre et archiviste, Bi Gan crée du neuf avec du vieux. Si le premier segment rend hommage — et honneur — à l’artisanat du cinéma muet, le deuxième reprend les codes du film noir, le quatrième s’apparente à un récit d’initiation, et le cinquième à une histoire d’amour impossible et vampirique. Ces scènes convoquent nos propres souvenirs de spectateurs, transformant ces moments isolés en lieux de mémoire collective, tout en restant suffisamment inédites pour surprendre.

Parfois, ce colosse de cinéma, long de 2 h 36 et déjà lesté par un siècle d’histoire sur ses épaules, se voit encombré par la profusion d’intentions de son créateur. Au fil des segments, les avatars du revoleur perdent un peu de sens. Mais puisque chacun évolue dans son propre univers onirique et opaque, ces abandons paraissent souvent secondaires. La volonté d’accumuler les significations surcharge cependant le récit et le transforme en dédale, où l’incrédulité se mue à de rares occasions en confusion.
Une semaine après Mektoub My Love: Canto Due*, un autre film ample, vivant et mélancolique arrivera en salle. Les deux créateurs ne partagent pas seulement le goût des tournages interminables et des réécritures constantes : tous deux cherchent à capturer l’errance d’une âme vagabonde. L’histoire — les années 1980 chez Kechiche, la mémoire du cinéma chez Bi Gan — devient le refuge d’une magie fébrile dont l’éclat n’est préservé que par l’enregistrement de la caméra.






