IF YOU ARE AFRAID YOU PUT YOUR HEART INTO YOUR MOUTH AND SMILE
À Vienne, une fille de 12 ans et sa mère sourde partagent un lien très fort malgré des difficultés financières. Alors qu’elle entre au collège, leur relation est mise à l’épreuve par de nouveaux défis.
Critique du film
Déjà documentariste, écrivaine et musicienne punk, Marie Luise Lehner rassemble un riche bagage artistique qui nourrit et colore de bout en bout son premier long métrage, If You Are Afraid You Put Your Heart Into Your Mouth and Smile. Présenté dans la section Perspectives du Festival de La Roche-sur-Yon après un beau parcours dans les festivals européens, ce film autrichien, inclusif, féministe et profondément queer, impose un regard singulier sur l’adolescence et la transmission mère-fille. Lehner y déploie une sensibilité rare, un cinéma à hauteur de collégien·ne(s) qui embrasse les failles, les désirs et les luttes sans les surplomber.
Princess is my gender
Anna, douze ans, vit avec sa mère sourde dans un appartement exigu, entre les gestes du quotidien et les marges que la société impose. Lorsque la pré-adolescente intègre son nouveau collège, situé dans un secteur plutôt privilégié, elle découvre le poids de la différence sociale et du regard des autres : la précarité de sa famille monoparentale, le regard des autres sur la différence de sa mère, mais aussi sa propre singularité. Dans ce monde normé, Anna tente de s’accepter telle qu’iel est – ni tout à fait fille, ni tout à fait garçon – cherchant les mots et les gestes pour affirmer doucement son identité. Cette quête émancipatrice passe autant par le corps que par la (les) langue(s), le regard, la tendresse partagée et cette belle amitié libératrice qu’elle tisse avec Mara.

Lehner signe un film d’une grande saveur, où la politique naît de l’intime. Son approche féministe et queer ne se traduit pas par une tonalité militante, mais par une attention constante aux individus minorés et à la manière dont iels se soutiennent, se reconnaissent, s’aiment. Donner la parole à une mère par les signes et les mots murmurés, représenter un entourage LGBTQ+, c’est refuser le monde tel qu’il est parfois dépeint pour en dessiner un plus doux, plus ouvert et plus représentatif. Plus musical aussi. La mise en scène, fluide et lumineuse, capte cette bienveillance sans la figer, elle laisse la vie déborder, les maladresses affleurer et l’émotion circuler.
Bonne mère
Siena Popović, désarmante de sincérité, incarne Anna avec une pudeur et une intensité précieuse, tandis que Mariya Menner donne à son personnage maternel une humanité poignante, mélange de bienveillance et d’usure. Autour d’elles, leurs fréquentations peuplent le récit et forment une communauté de soin, d’écoute et d’apprentissage collectif.
Mais là où If You Are Afraid You Put Your Heart Into Your Mouth and Smile fait le plus de bien, surtout en ces temps de repli conservateur, c’est dans sa liberté et sa confiance dans l’humain. Derrière sa légèreté apparente et son humour mordant, il trace un sillon politique essentiel, celui d’un cinéma qui ne cherche pas à corriger la différence et choisit la célébration. Si le cinéma pouvait réparer un peu du monde, le premier film de Marie Luise Lehner deviendrait un remède vital.






