HISTOIRE D’UNE PROSTITUÉE
Dans les années 1930, Harumi est une prostituée dont l’amant vient de se marier à une femme qu’il n’aime pas. Dépitée, elle se rend en Mandchourie, en plein conflit sino-japonais, pour y travailler avec d’autres filles. Elle y devient vite le souffre-douleur d’un officier violent.
Critique du film
Réalisateur japonais assez méconnu, Seijun Suzuki a pourtant à son actif une cinquantaine de films, en majorité réalisés dans les années 1950 et 1960, alors qu’il était employé par la Nikkatsu, studio à l’époque spécialisé dans les séries B. Cependant, sa liberté de style, notamment formelle, lui vaudra d’être licencié en 1968, stoppant sa carrière pendant de nombreuses années, avant d’être enfin réhabilité.
Si Suzuki s’est surtout illustré dans le film noir, où il a pu laisser libre court à son audace formelle, il a parfois travaillé sur des films plus sérieux, comme Histoire d’une prostituée, adaptation du roman de Taijirō Tamura, qui raconte l’histoire d’une jeune prostituée envoyée « réconforter » les soldats japonais sur le front en Mandchourie dans les années 1930. L’occasion pour le réalisateur de dénoncer la politique de l’armée réduisant les soldats à de la simple chair à canon totalement dévouée à la cause impériale.
Les femmes qui, elles aussi, ne sont réduites qu’à de la chair servant à redonner du moral aux troupes, deviennent chez Suzuki des révolutionnaires venant donner un coup de pied dans le système. Le personnage d’Harumi, interprétée avec force par Yumiko Nogawa, joue un double jeu, d’une part à la merci d’un capitaine violent, d’autre part amoureuse d’un soldat totalement embrigadé par le système, auquel elle va tenter de faire recouvrer sa liberté, au sens propre comme au figuré.

Si le style de Suzuki se fait ici assez mesuré, sérieux du film oblige, il n’en est pas moins très travaillé. Il choisit le noir et blanc, dont il tire soit une gravité, soit à l’inverse du lyrisme ou de l’onirisme. On pense notamment aux séquences d’amour entre Harumi et son jeune amant, aux séquences dans les étendues désertiques de Mandchouri ou encore cette course d’Harumi sous les bombes du chant de bataille. Suzuki utilise également admirablement le CinemaScope avec des compositions de plans particulièrement recherchées.
À voir la qualité de la mise en scène chez un réalisateur qui enchaîne à l’époque en moyenne trois films par an, on comprend aisément pourquoi Quentin Tarantino, Wong Kar-wai, Jim Jarmusch ou encore Damien Chazelle le citent aujourd’hui comme une référence.






