WAR ON SCREEN 2025 | Regards amateurs sur la Libération
Dans le cadre de la 13ᵉ édition du Festival War on Screen, une ciné-conférence s’est tenue autour du thème de la Libération à travers des films amateurs tournés en 1944 par des particuliers. Cette passionnante plongée, orchestrée par Claire Feniger, coordinatrice du Conseil scientifique et d’orientation de la Mission Libération, offre un aperçu précieux de l’état d’esprit qui régnait dans les villes et villages de France à la veille du départ des troupes allemandes.
De par leur nature spontanée et non produite, ces images amateurs — malgré l’immersion qu’elles procurent — échappent à toute velléité documentaire. Tournées sur le vif et avec les moyens du bord (les pellicules étant chères et rares), elles sont l’œuvre de civils, de soldats, de mères de famille, de commerçants ou de riches industriels, et montrent le quotidien de la guerre sans volonté d’enjoliver la réalité. Loin des images d’Épinal de la liesse populaire et des rondes dans les rues de Paris, ces archives nous invitent dans l’intimité de celles et ceux qui les filment, à une époque où les soldats allemands interdisaient cette pratique. C’est là l’une de leurs grandes forces : même sans ambition cinématographique, le cinéma s’y installe de lui-même, par le seul danger que représente l’acte de filmer. Prudemment placés derrière une fenêtre ou un volet, ces réalisateurs amateurs restituent l’ambiance des rues, les tensions entre soldats et habitants. On y découvre aussi des scènes intimes, familiales, témoignant d’une vie domestique où, malgré la guerre, on sait encore s’adonner aux loisirs et à la détente.
La conférence alterne ainsi entre des images graves — comme ce lâcher de bombes à Strasbourg où le choc pousse l’opérateur à lâcher sa caméra, provoquant un écho dramatique involontaire — et d’autres empreintes d’ironie mordante, telle l’immense affiche du Dictateur de Charlie Chaplin sur la façade du Gaumont-Palace, près de la place de Clichy.

Malgré leur caractère amateur, ces petits films révèlent une réelle volonté de raconter, de transmettre un ressenti, un vécu. Tous adoptent une narration linéaire, et certains vont jusqu’à la reconstitution, comme cette scène « rejouée » par les maquisards de Guingamp. À la manière de photographies de guerre, on retrouve aussi des plans de carcasses de véhicules allemands calcinés ou de douilles alliées, saisies comme des trophées.
Autre apport essentiel de ces archives : elles montrent combien il était vital pour les populations de se réapproprier l’espace public, leur espace. On y voit des soldats allemands désarmés, des symboles nazis détruits, des statues déboulonnées, des affiches de propagande remplacées par des messages d’harmonie, des drapeaux ennemis troqués contre des drapeaux français. Ces paysages, comme la place de l’Opéra à Paris, frappent par leur puissance évocatrice : on imagine difficilement la joie qui devait alors envahir la foule. Une libération au sens propre comme au figuré. Ces images témoignent aussi de la bravoure et du sacrifice des Parisiens dans la reconquête de leur ville, renversant en quelque sorte l’humiliation de l’annexion.
Bien qu’amateurs, ces visions fragmentaires offraient une échappatoire à ceux qui les filmaient et leur permettaient de laisser une trace. Elles possèdent une force d’immersion et une puissance cinématographique insoupçonnées, captant l’optimisme retrouvé qui s’empare alors des populations. Comme le résumait, non sans sarcasme, le général de Gaulle à la fin de l’année 1945 : « En 1944, les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents : c’est un progrès. »



