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LIBRE ÉCHANGE

Alors que sa femme vient de demander le divorce, Carey court chercher du soutien auprès de ses amis, Julie et Paul. Il découvre alors que le secret de leur bonheur est qu’ils sont en couple libre.

Critique du film

Parait-il que la comédie reste avant tout une affaire de rythme. L’idée est sans doute un peu réductrice, mais la récente sortie d’Y a-t-il un flic pour sauver le monde ? tend à en donner une parfaite illustration. La mise en scène d’Akiva Schaffer a beau manquer d’éclat, il faut reconnaître que les gags portés par Liam Neeson et Pamela Anderson trouvent une certaine efficacité grâce à un montage qui en assure presque toujours la lisibilité. Le cas de Libre Échange est plus complexe car son réalisateur Michael Angelo Covino y pousse très loin la question du tempo comique, jusqu’à en faire l’attrait principal de son long-métrage.

Sur le papier, pourtant, rien de révolutionnaire à première vue. Le film se plaît à (re)jouer les éternels motifs du marivaudage : soif d’émancipation individuelle, quiproquos, trahisons et désirs contradictoires sont au programme d’un récit qui suit le schéma classique du chassé-croisé amoureux d’un groupe d’individus en pleine crise sentimentale et sexuelle. Mais plutôt que de dérouler une intrigue plus ou moins cousue de fil blanc, Covino se sert de cette trame convenue comme d’un terrain de jeu de tous les possibles pour expérimenter différentes formes et registres de comédie, sans pour autant altérer la cohérence de l’ensemble du projet.

Qu’elle s’appuie sur les bases théâtrales du vaudeville (plans séquences qui s’étirent, musicalité des dialogues, actions simultanées au premier et au second plan…) ou qu’elle joue à fond la carte de l’absurde à tendance slapstick (humour basé sur l’exagération physique : coups, chutes et cascades en pagaille), la mise en scène de Covino se veut virevoltante et sans temps mort. Chaque séquence est appréhendée par le cinéaste comme un renouvellement formel potentiel, toujours en quête de la respiration juste, celle qui règle autant la mécanique des situations que l’évolution des personnages. De ce fait, chaque gag semble trouver l’écrin idéal pour se déployer à plein régime. Sans compter qu’ils révèlent en filigrane la perversité du petit jeu à priori ‘’sans conséquences’’ auquel se livrent les protagonistes.

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La caractérisation volontairement appuyée des personnages s’inscrit dans cette même logique, à savoir nourrir la verve satirique du scénario fomenté par Covino et Kyle Marvin – tous deux également interprètes des rôles masculins principaux. Conscients des enjeux sociaux de leur époque, le duo n’épargne aucun de leur double fictionnel respectif et les confronte sans détour à leur travers masculinistes. Un sujet traité en particulier lors d’une scène de bagarre génialement interminable, à la fois hilarante dans son découpage et ses trouvailles visuelles, et pathétique dans ce qu’elle raconte. En quelques plans, le film met en évidence la posture viriliste affligeante de ces deux ‘’amis’’, sans que ces derniers ne comprennent véritablement pourquoi ils agissent de la sorte. Implacable !

Pour autant, jamais le cinéaste et son co-auteur ne regardent de haut leurs personnages. On a beau faire face à des individus lâches, égocentrés et méprisables à bien des égards, il n’en reste pas moins des êtres humains tangibles, auxquels le spectateur pourra paradoxalement s’attacher par fragments, tant leurs contradictions résonnent avec des problématiques contemporaines et universelles. 

Et si le film s’achève sur une note qui semble feindre un retour à une morale plus traditionnelle et hétéronormée, il sous-tend une réalité bien plus acide. Finalement, personne n’a véritablement évolué dans toute cette histoire. Chacun a choisi de se ranger dans une situation confortable, comme pour échapper à l’inconfort de ses propres désirs. Covino évite ainsi l’écueil du happy end attendu et signe une conclusion grinçante, renvoyant le spectateur à ses propres contradictions. Le reflet dans ce miroir n’est peut-être pas des plus reluisants, mais il a le mérite d’offrir une lucidité bienvenue qui ne ménage personne, à commencer par ses propres créateurs.

Bande-annonce

10 septembre 2025 -De Michael Angelo Covino