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TAIPEI STORY

Lung et Chin se connaissent depuis de nombreuses années. Lui est un ancien joueur de base-ball sans véritable ambition professionnelle ; elle a un poste de secrétaire au sein d’un grand cabinet d’architectes. Le sentiment qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est un mélange d’amour et d’affection profonde, jamais bien défini. Mais le licenciement brutal de Chin va bientôt fissurer leur « couple » et compromettre leur projet de vie commune…

Critique du film

Il y a des lieux dont le cinéma s’empare et des lieux dont le cinéma peut à peine capter la densité. Edward Yang avait probablement ce dilemme à l’esprit lorsqu’il a filmé Taipei dans son second long-métrage, comment transmettre toutes les subtilités d’un environnement urbain si tortueux, aux artères peuplées de millions d’âmes ?

La réponse à cette question, Yang l’a sûrement trouvée dans sa propre histoire. Fils de parents exilés à Taïwan, le cinéaste a dû grandir avec deux géniteurs eux-mêmes loin de leurs repères, une raison de plus pour s’approprier les lieux, faire de Taipei son point d’accroche aussi bien dans la vie que dans sa carrière. Avec Taipei Story, Edward Yang revient sur la capitale taïwanaise après avoir goûté au monde occidental, son regard se fait alors plus critique tout en conservant cet attachement pour une ville dont il a suivi l’évolution et dans laquelle il s’est lui-même forgé.

Le processus est ainsi fait qu’on pourrait le nommer “cinéma par en bas”. La ville de Taipei est partout, chaque immeuble en fait partie, chaque angle est en réalité un recoin de la mégapole et elle en vient même à grignoter le titre. Taipei Story reste pourtant à échelle humaine, en suivant ce couple, indécis quant à son avenir jusqu’à être incertain du présent. C’est à hauteur de femmes et d’hommes qu’on contemple le trafic routier, que les appartements sommaires se dévoilent ; le béton prend vie quand on lui accorde des enjeux humains. Ce Taïwan, à la veille de voir son premier régime démocratique au pouvoir, n’est pas encore une puissance économique reconnue, l’heure est aux complications financières pour sa population. L’ombre des buildings cache des difficultés plus confidentielles, l’argent manque au sein du couple de Chin et Lung, mais cette pauvreté cache l’indécision profonde qui les anime : partir ou rester ?

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C’est dans ce choix qu’Edward Yang a probablement disséminé un peu de son être, lui qui a quitté l’île pour étudier en Floride, la décision ne lui est pas inconnue. Elle reste pourtant en suspens tout le long du film, à l’instar de cette quête d’identité perpétuelle qui entoure la ville de Taipei. À mesure que le film avance, confirmant ce non-choix dont nous ne verrons jamais la finalité, la cité de Taipei s’ouvre petit à petit, dévoile avec une certaine intimité ses recoins les plus contemplatifs. Un panneau publicitaire étincelant dans la nuit, telle une porte vers un monde plus coloré, une autoroute aux voitures bleues, rouges, jaunes, les personnages s’évadent en contemplant la banalité d’une ville qui cherche encore à s’affirmer. Là est toute la substance de cette potentielle fuite, ce n’est pas tant une question de travail ou de richesse, mais d’identité. L’avenir est incertain dans une ville dont l’histoire n’a été faite que de changements, les personnages ne peuvent envisager un quelconque futur au sein d’une agglomération métamorphe. 

Pourtant, chaque fois que la nuit s’empare des lieux, les couleurs ressortent, la beauté se trouve ailleurs. Partir, ce serait trahir l’espoir de cette Taipei nocturne ; partir, ce serait refuser de croire en une aube meilleure.


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