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JEANNE DIELMAN

Le quotidien d’une mère de famille qui se livre occasionnellement à la prostitution.

Critique du film

Jeanne Dielman fait partie de ces films qui en disent peu, mais qui en montrent beaucoup. À travers de longs plans séquences fixes montrant Jeanne cuisiner, nettoyer, ranger, Chantal Akerman filme l’ordinaire silencieux et monotone d’une femme au foyer. 

Le premier détail qui interpelle est l’aspect secondaire du son : ici, pas question de longs dialogues ou de musiques, seuls les bruits ambiants, tels que celui du sifflement d’une bouilloire, d’un fouet dans un saladier, ou de couverts raclant la fin d’une soupe, viennent rompre le silence assourdissant qui envahit l’appartement de Jeanne. Seules de sobres paroles sont échangées avec son fils, qui ne semble plus parler la même langue qu’elle. Aucun dialogue durant les repas, ni même un regard. Ce silence, quii en dit plus qu’une discussion, nous fait attendre, tout au long de ces longues séquences presque malaisantes, un contact humain qui n’arrivera jamais.

Ainsi, tout se comprend par quelques images, une sonnerie, un simple bonjour, une porte de chambre qui se ferme sur Jeanne et un homme, un échange d’argent. Pas besoin de mots supplémentaires pour deviner que Jeanne se prostitue de temps à autre. C’est d’ailleurs la seule occupation de Jeanne en dehors des tâches ménagères, montrant son annihilation au monde réel. Pas de distractions, pas de sorties sauf pour aller aux courses, pas d’interactions sociales mises à part quelques formules de politesse. On pourrait croire que Jeanne n’a pas de vie, et pourtant, trois heures durant, on découvre l’entièreté de celle-ci.

Jeanne Dielman

Jeanne Dielman est aussi un film minimaliste, empli de plans séquences fixes venant dépeindre cette vie rythmée par les tâches ménagères, réglée à la minute près, au geste près. Jeanne mène une vie si ordonnée que des pommes de terres trop cuites, une coiffure ébouriffée, ou une petite cuillère qu’elle fait tomber, laissent entrevoir un moment de basculement. Le mal-être de Jeanne devient apparent, quasiment imperceptible, mais les moments de réflexion se font plus longs, les gestes hésitants, les routines, si fluides et méticuleuses les deux premiers jours, deviennent approximatives le troisième. Elle qui était autrefois si impassible devient hésitante, contrariée, la menant vers un point de rupture.

Ce basculement est brutal, rien ne l’annonce, et pourtant tout le prédisait. Un dernier client. Une chambre. Une paire de ciseaux. Et puis ce plan final. Jeanne Dielman, assise à sa table, immobile, le regard perdu dans un point hors champ, baignée d’une lumière sombre qui fait écho à l’acte qui s’est déroulé juste avant cette scène de désolation. On ne sait pas ce qu’elle pense. On ne sait même pas si elle pense encore. On est seulement là, avec elle, devant elle, face à ce que le cinéma ne montre jamais : le vide après l’acte.

Jeanne Dielman

On ne retiendra pas de Jeanne son histoire, mais une sensation. Un sentiment de solitude qui la ronge jusqu’à passer à l’acte. Ainsi que ce vide. Un vide qui remplit le film, un vide omniprésent, autant dans la vie de Jeanne qu’intérieurement. L’empêchant de regarder ce qu’elle a toujours fui.

Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles est un film résolument avant-gardiste, qui anticipe la déshumanisation de la femme au foyer. En dressant le portrait d’une femme réduite à ses fonctions domestiques, au service des autres, dépourvue d’expressions émotionnelles et de personnalité affirmée, Chantal Akerman révèle avec subtilité un profond mal-être intérieur, presque invisible à l’oeil nu, mais qui affleure peu à peu à travers la mise en scène minimaliste et rigoureuse du film.


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