SEGUNDO PREMIO
Grenade, fin des années 90. En pleine effervescence artistique, un groupe de rock indépendant traverse une période mouvementée : la bassiste quitte le groupe et cherche sa place en dehors de la musique, le guitariste est plongé dans une dangereuse spirale d’autodestruction tandis que le chanteur est confronté au processus difficile de création de leur troisième album. Personne ne sait encore que ce disque changera à jamais la scène musicale espagnole.
Critique du film
À chaque annonce de la sortie d’un nouveau biopic musical, c’est la même rengaine. Un certain sentiment d’exaspération s’empare de nous, dépités de voir le cinéma se transformer en grande essoreuse qui, devant le succès de ce type de films, a bien compris que toutes les (rock)stars devaient passer à la moulinette. Chaque portrait doit être dressé et chaque part d’ombre doit être exhibée, peu importe si le prix à payer de cette dilution du mystère est à la fois l’aseptisation de ces figures et de ce type de représentations. Rappelons qu’entre 2002 et 2010, ce sont une grosse quinzaine de films biographiques d’artistes ou de groupes qui sont sortis en salle (Walk the Line sur Johnny Cash, Control sur Ian Curtis, La Môme sur Edith Piaf, etc). Un nombre vertigineux qui a obligé ce type de portrait cinématographique devenu, par la force des choses, un genre à part entière, versatile afin d’offrir une expérience singulière au spectateur.
Segundo Premio, co-réalisé par Isaki Lacuesta et Pol Rodriguez, se situe davantage parmi les propositions originales, et cela pour plusieurs raisons. Si le film tient son inspiration de Los Planetas, un groupe de rock psychédélique espagnol bien réel, les deux cinéastes ont avoué ne pas avoir cherché à retranscrire à la lettre l’histoire de cette bande de jeunes musiciens désœuvrés. Les deux personnages principaux du film, deux bruns à l’allure longiligne, ne sont pas nommés. Dans le générique, le chanteur du groupe est crédité comme « le chanteur » et le guitariste comme « le guitariste ». Également, les évènements qui sont narrés ne cherchent pas à être historiquement tangibles. Ce qui intéresse les deux réalisateurs, c’est la création d’une ambiance, d’une humeur, tant les compositions semblent se parer de filtres Instagram.

Les scènes se passent majoritairement dans des salles de concert à la lumière artificielle et tamisée, déracinant l’instant de la réalité, ou dans leurs lieux de répétition où l’usage de drogues psychédéliques est souvent de rigueur pour mettre en route la machine artistique. La consommation de substances illicites a beau être une composante majeure du récit, le film arrive assez justement à éviter la trajectoire recopiée à l’infini du « rise and fall », comprenez l’ascension de l’artiste, qui, comme Icare, se brûlera les ailes une fois trop proche du soleil. La répétition de ce trope est de facto évité car le projet Los Planetas semble paralysé, incapable de décoller.
Le départ de la bassiste, May, a laissé un trou béant, déséquilibrant le groupe, tandis que le guitariste est embourbé dans un cercle vicieux d’autodestruction. Cette incertitude constitue quasiment le cœur du scénario, construit à la façon d’une tracklist d’un album. L’histoire avance à tâtons et est segmentée à de nombreux intervalles par des titres qui apparaissent à l’image et précisent les thèmes qui vont être abordés. Ce sentiment de regarder un album imagé s’avère particulièrement saisissant dans les quelques scènes oniriques du film où le fantasme déborde le réel pour faire primer un univers sensoriel où les états d’âmes des artistes ne font qu’un avec leur représentation.

Cette structure atypique apporte hélas son petit lot de défauts. Bien qu’il y ait distinctement une intro et une outro, un début et une fin, le chemin qui relie ces deux points ne parait pas toujours très clair. Le statu-quo des personnages devient frustrant quand des dialogues et des situations sont remâchés, sans forcément apporter un nouveau regard ou une plus-value comparée à une scène précédente. Les différentes voix off font de leur mieux pour expliciter les situations, mais leur utilisation parfois si terne est d’autant plus dommageable qu’à de nombreuses reprises le film s’amuse à re-raconter le même évènement par un interlocuteur différent, troublant toujours plus la frontière entre le mythe et la réalité, la confrontation qui fait tout le sel du biopic musical.
Plus proche de l’expérimental I’m Not There de Todd Haynes que de l’illustratif Bohemian Rhapsody, Segundo Premio ne profite que trop rarement de la liberté que lui offrait son script pour le transformer en quelque chose de fougueux ou de saisissant à l’écran.
Bande-annonce
16 juillet 2025 – De Isaki Lacuesta, Pol Rodriguez






