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PUSHER | Retour sur la trilogie de Nicolas Winding Refn

Aujourd’hui, quand le nom de Nicolas Winding Refn est évoqué, il est impossible de ne pas penser à Drive et Ryan Gosling avec sa veste satinée frappée d’un scorpion. Prix de la mise en scène à Cannes en 2011, le film a acquis une reconnaissance telle qu’elle a permis à son cinéaste de s’installer comme un nom qui compte à l’international. Mais avant de conquérir Hollywood, c’est sur ses terres, à Copenhague, qu’il a peaufiné son style. 

En 1996, Pusher premier du nom sort. La caméra ultra-mobile suit Frank, un dealer tentant tant bien que mal de sauver sa peau après qu’une vente a capoté. Du jour au lendemain, le protagoniste se retrouve avec une dette colossale sur le dos. On comprend très vite qu’il va avoir les plus grandes difficultés du monde à s’extraire de ce marasme, tant toutes les personnes autour de lui sont, elles aussi, en sursis financier. Le réalisateur, pourtant issu d’un milieu relativement aisé, a admis avoir toujours été fasciné par ces parias de la société. En suivant ce groupe de personnes gravitant autour de Frank, NWR dévoile une chaîne vertigineuse de créanciers et les représente dans un univers aussi âpre qu’un film d’Abel Ferrara. La caméra hérétique retranscrit parfaitement ce système de vassalisation où toutes les vies s’écrient en pointillés, un monde incertain où chacun est endetté. 

Il n’est pas nécessaire de se pencher davantage sur ce premier opus tant sa formule sera améliorée dans les deux suivants. Ne tombant pas dans une forme de dogmatisme, pour Pusher 2 et 3, Nicolas Winding Refn s’est séparé du style guérilla qui avait la fâcheuse manie d’handicaper le rythme de son premier essai, où l’on se demandait si c’était véritablement les personnages qui étaient perdus dans cette jungle urbaine et non le réalisateur lui-même. L’approche formelle plus classique n’a rien enlevé de l’effet de tension et de crispation qui définit cette trilogie danoise.

Pusher 2

Dans un monde où chacun semble ne rien posséder, tout étant emprunté, la seule temporalité déterminante est celle de l’instantanéité. À chaque fois qu’un personnage débarque dans une scène, peu importe s’il a déjà un plan dans la tête, sa vision est écrasée par le présent et rebat en permanence les cartes. Dans Pusher 2, alors que Tonny (Mads Mikkelsen) se balade dans les rues tard la nuit, il aperçoit une Ferrari. Rien dans les scènes antérieures ne laisse présager qu’il a prévu de voler une voiture de luxe. Mais il a besoin d’argent et se doit donc saisir cette opportunité. Tout content de sa trouvaille, le malfrat va présenter son butin au garage de son père, qui revend justement des voitures volées. Tonny imaginait que sa joie allait être partagée par son père, mais celui-ci se retrouve traité d’abruti et repart penaud. 

Toutes les scènes ne sont pas des volte-faces. Parfois, un plan ne déraille pas, aboutit et apporte satisfaction, comme ce braquage d’un concessionnaire par Tonny et sa bande, qui se déroule relativement sans heurts et pour lequel il sera même félicité de ses efforts. Pour éviter une quelconque redondance, la tension peut parfois apparaître dans le contrecoup. Après le vol, Tonny est obligé de rentrer tout seul en bus, car il n’y a plus assez de places dans la voiture. Le réalisateur s’amuse à titiller la paranoïa du public en laissant ouvertes les portes d’une potentielle crise entre les braqueurs ou encore la menace d’un incident qui pourrait survenir sur le chemin du retour.

Pusher 3

Cette tension, par moments très forte, naît en partie des liens qui unissent les personnages. Dans Pusher 2, Tonny entretient une relation compliquée avec son père, tandis que dans le troisième et dernier épisode, Milo doit gérer une affaire délicate durant l’anniversaire de sa fille. Si les intrigues des trois films ne sont pas directement liées, les ponts se font par de brèves mentions ou apparitions des personnages des autres films, un fil rouge se dessine néanmoins. Plus les films avancent, plus les protagonistes doivent assumer leurs responsabilités. Si Frank ne s’engageait dans aucune relation, Tonny lui va devoir apprendre à accepter sa paternité et Milo essaye d’être le meilleur père possible pour sa fille. 

Après l’échec commercial de Fear X, son troisième film, Nicolas Winding Refn avait accepté, un peu par dépit, de se lancer dans la réalisation de Pusher 2 et 3 afin d’éponger ses dettes personnelles. Il s’inquiétait alors que la création de ces deux films serait une rétrogradation artistique, un retour à la case départ. Or, la montée en gamme au fil des opus témoigne exactement du phénomène inverse. Dans le documentaire Gambler, suivant la création des deux derniers Pusher, le danois apparaît souvent exténué par la pression sur ses épaules. Comme les personnages de sa trilogie, dos au mur, il n’a pas eu d’autres choix que d’avancer et d’améliorer son style à chaque essai. Il n’y a pas encore l’esthétique très marqué de Drive et des films qui vont suivre, mais quelque chose de plus brut qui n’a pas besoin de fioritures pour toucher la cible. 

Bande-annonce

La trilogie culte de Nicolas Winding Refn ressort pour la 1ère fois en 4K le 9 juillet en salle