1 ANNÉE, 1 FILM | L’année 2008
EXPLORER L’HISTOIRE DU CINÉMA PAR FRAGMENTS, AU GRÉ DES ANNÉES ET DES HASARDS. AVEC 1 ANNÉE, 1 FILM, LA RÉDACTION DU BLEU DU MIROIR SE PRÊTE À UN JEU CINÉPHILE : CHOISIR CHAQUE SEMAINE UNE ANNÉE DIFFÉRENTE — ALÉATOIRE — ET Y ASSOCIER UN FILM. CLASSIQUE INDÉMODABLE, PÉPITE OUBLIÉE, ŒUVRE CULTE OU CURIOSITÉ MÉCONNUE : UNE MANIÈRE DE RACONTER LE CINÉMA AUTREMENT, À TRAVERS LES ELLIPSES DU TEMPS. CETTE SEMAINE, L’ANNÉE 2008.
Speed Racer

La reco’ de Simon
Il y a quelques mois, le youtubeur et essayiste américain Patrick H. Willems a publié une vidéo intitulée Speed Racer : The most important movie of the 21st century. Volontairement aguicheur et galvaudé, le titre illustre néanmoins la nouvelle réputation d’un film longtemps moqué, mais qui, aujourd’hui, gagne enfin ses lettres de noblesse. Car au-delà des simples prouesses technologiques réalisées par le film, bien que cela se fasse au prix d’images parfois un peu kitsch, Speed Racer est avant tout un geste cinématographique d’une radicalité folle. Dans des flux débordants de couleurs vives, de mouvements ultra-rapides, jouant de l’espace et des perspectives, les sœurs Wachowski signent un film expressionniste flamboyant. On est tout de suite embarqué dans cette histoire d’un jeune pilote automobile naviguant entre son histoire familiale et la nature prédatrice et capitaliste d’un sport qui l’a toujours fait rêver. A travers le personnage incarné par Emile Hirsch, les cinéastes reflètent sur ce que cela veut dire de garder son intégrité artistique dans une industrie régulée par des chiffres et non des émotions. – SB
Vinyan

La reco’ d’Antoine
Certaines expériences cinématographiques cherchent moins à raconter qu’à faire ressentir. En faisant appel aux sens du spectateur plutôt qu’à sa raison, ces films à « ticket d’entrée » nécessitent un véritable lâcher-prise de la part de ceux qui les regardent. Vinyan appartient sans conteste à cette catégorie. Dès son ouverture, évoquant le tsunami survenu en Thaïlande en 2004, Fabrice Du Welz fait le choix de l’abstraction plutôt que celui de la reconstitution. Il enchaîne alors visions graphiques et sonores pour traduire la violence traumatique et dévastatrice de l’événement. Ce générique inaugural, véritable note d’intention, sonne presque comme un avertissement : entrer dans Vinyan, c’est pénétrer en territoire instable, à mi-chemin entre le réel et le cauchemar. Comme trame de fond, le film suit un couple endeuillé, incarné avec intensité par Emmanuelle Béart et Rufus Sewell, persuadé que leur enfant, perdu lors du cataclysme, est toujours vivant. Leur quête désespérée les entraîne dans une jungle moite et hostile, bientôt transformée en véritable labyrinthe mental. Apparitions spectrales, atmosphère suffocante et effritement psychologique transforment peu à peu leur parcours en trip halluciné aux frontières du réel, jusqu’à un final aussi onirique que cauchemardesque. Par sa radicalité, Vinyan fait partie de ces films qui provoquent inévitablement des réactions contrastées, entre fascination et rejet. Mais pouvait-il en être autrement d’une œuvre qui invite aussi frontalement son public à affronter les ténèbres ? – AR
Tokyo !

La reco’ de Théo
Dans Tokyo !, Michel Gondry livre un récit sur le vide et le sentiment d’inutilité avec une humanité dont il a le secret, la métamorphose de son récit se fait tout en douceur, jouant du fantastique pour parler des émotions humaines, celles qu’on repousse ou qu’on ne souhaite pas voir faire surface. Carax est toujours dans la provocation avec un Denis Lavant une nouvelle fois mis à profit dans un rôle de dément, le réalisateur des Amants du pont neuf et de Holy Motors transforme la mégalopole nippone en un terrain presque horrifique, un segment cacophonique propre à l’esprit torturé du cinéaste. Quant à Bong-Joon-Ho, son passage se base encore sur les failles d’une société dans laquelle les interactions sont de plus en plus complexes, il y reprend le phénomène des Hikikomori dans une section presque post-apocalyptique. Sa participation au long-métrage est probablement la plus marquante, surtout dans un monde ayant connu l’isolement et la distance lors de la récente pandémie. Tokyo ! n’incarne pas tant une certaine vision de la capitale japonaise par des réalisateurs étrangers mais davantage un décor que s’approprient de grands noms pour donner un nouveau souffle à une ville dont la carrière cinématographique est déjà bien riche. Un bac à sable cinématographique donnant lieu à l’une des collaborations les plus variées des années 2000. – TK
L’orphelinat

La reco’ de Fabien
Premier film de J.A. Bayona et grand succès en Espagne, L’Orphelinat est un petit bijou de cinéma d’épouvante poétique. Bien loin des tendances actuelles, le film reste assez contenu dans l’intensité de son horreur. D’ailleurs, si lors du premier visionnage on se laisse prendre par son ambiance de film de maison hantée dont il respecte, avec talent, tous les codes à la lettre, c’est lors d’un second visionnage que L’Orphelinat révèle toute sa grandeur. Revoir le film en ayant toutes les clés de l’histoire permet en effet une nouvelle lecture où l’on délaisse totalement le vernis horrifique, pour plonger, impuissants, au cœur d’une autre horreur, celle d’une tragédie bouleversante. L’émotion de ce conte macabre sur la maternité et le deuil s’en trouve alors décuplée. – FG
Les ruines

La reco’ de Tanguy
L’année 2008 a été prolifique en termes de films majeurs, aussi est-ce le moment de se rabattre sur un film certes plus mineur, mais moins vu, peut-être oublié. Les Ruines de Carter Smith est un film d’horreur d’une simplicité désarmante, qui sans crier gare injecte des images d’une violence graphiquement impressionnante. Son postulat qui ne paie pas de mine est compensé par des personnages d’un coup plus malins qu’ils n’en ont l’air, mais pris au piège en partie par leur propre vanité. Le casting, truffé de seconds couteaux de la série B américaine (Jonathan Tucker, Jena Malone, Shawn Ashmore et Laura Ramsey), s’en sort à merveille, aidé par une photographie géniale de Darius Khondji. Le chef opérateur franco-iranien réussit à infiltrer le fantastique en donnant à l’écosystème de la diégèse un mouvement permanent, bientôt irréel : les feuilles des ruines meurtrières bougent, le lierre grimpant se meut, mais continue de se balancer de droite à gauche alors même que le vent disparait du cadre. Ce malaise participe grandement à l’expérience machiavélique et parfois peu ragoûtante du film. Avis aux amateurs de sensations fortes : pour plus de plaisir, la version « Unrated » est fortement conseillée. – TB
Valse avec Bachir
La reco’ d’Emilien
Chose rare pour un long-métrage d’animation, Valse avec Bachir a été reçu immédiatement identifié à sa sortie comme une proposition importante au sein de la production animée mondiale, sujet dont la critique ne fait que d’ordinaire que peu de cas. Le film d’Ari Folman a en effet le mérite d’être le premier grand documentaire animé – d’autres avaient ouvert la brèche avant lui sans réussir à s’imposer dans les esprits et les discussions -, revenant sur un conflit encore récent à l’époque de sa sortie : la Guerre du Liban, lentement recomposée par le point de vue fragmenté du réalisateur lui-même, alors jeune soldat israélien mobilisé sur place. Le génie de Folman est s’emparer complètement de la nature mouvante et intangible du cinéma d’animation, qui contrairement à l’image de cinéma n’a pas de prise directe avec le réel, afin de représenter sa propre mémoire des événements, brouillée et disloquée suite à un trauma. La plasticité de l’animation se retrouve philosophiquement liée à celle du cerveau, à l’origine de la construction de chaque individualité, ce que le film explore brillamment en confrontant les points de vue : Folman rencontre d’anciens compagnons d’arme qui ont chacun un souvenir différent de la guerre. L’objectif, sublime, du film est le même que celui d’une thérapie : retraverser des émotions passées pour reconstituer la façon dont la guerre a été vécue, et identifier ce qui a été refoulé, jusqu’à faire remonter une image à la conscience. Une vision terrible, la dernière du film, permet au narrateur de saisir à nouveau la réalité et qui est donc, très justement, en prise de vue réelle. – EP
Doubt

La reco’ de Mathys
Avec Doubt, John Patrick Shanley quitte le théâtre pour offrir au grand écran une œuvre tendue, ciselée, où la foi se heurte à l’incertitude. Connu jusqu’alors surtout pour son travail d’auteur dramatique, Shanley transpose son regard sur l’ambiguïté morale dans une mise en scène sobre, presque claustrée, qui donne au film des allures de fables contemporaines sur la vérité impossible à saisir. En 1964, alors que l’école catholique du Bronx accueille son premier élève noir dans un monde en plein changement social, le charismatique Père Flynn est accusé par Soeur Aloysius, directrice stricte et intransigeante, d’entretenir une relation inappropriée avec un élève, mais aucune preuve tangible ne vient confirmer ses soupçons. Entre les sermons du prêtre, les interrogatoires de la religieuse et le regard hésitant et plein de tendresse d’une jeune sœur, le spectateur se retrouve enfermé dans un jeu d’ombres et de certitudes vacillantes. Doubt marque les esprits non seulement par la richesse des dialogues et l’aspect moral qu’il dégage, mais aussi par la justesse de son interprétation. Meryl Streep, Philip Seymour Hoffman et Amy Adams portent cette confrontation d’idéaux avec une maîtrise rare, donnant au film une dimension presque existentielle sur la justice et les croyances. – MM
Frangins malgré eux

La reco’ de Victor
Plus connu récemment du grand public pour ses brûlots politiques lorgnant du côté d’Oliver Stone, il ne faut pas oublier que les talents satiristes d’Adam McKay ont été offerts à la comédie purement potache. En 2008, il signe l’un des derniers joyaux du cinéma comique US avec Frangins Malgré Eux. En tête d’affiche, le duo de choc Will Ferrell et John C. Reilly campe deux adulescents quarantenaires devant apprendre à co-habiter ensemble lors du mariage de leurs parents (Richard Jenkins et Mary Steenburgen, dans l’un de leurs meilleurs rôles). Le résultat est phénoménal : pas une scène ne semble en trop pour ausculter avec férocité (mais aussi, pas mal de tendresse pour ses personnages) une Amérique obsédée par la conception de « réussite ». – VVdK
Morse

La reco’ de Sam






