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À L’EST D’EDEN

1917, Salinas, Californie. Aron et Cal sont les deux fils d’Adam Trask, homme honnête et respecté de tous. Aron, l’enfant modèle, fait la fierté de son père, tandis que Cal, mal dans sa peau, ne fait qu’errer dans les rues la nuit et attirer la colère de son paternel. Lorsque Cal découvre que sa mère qu’il croyait morte est en fait la tenancière d’une maison close, il pense alors avoir hérité d’elle le mal, tandis que son frère est l’incarnation du bien à l’image de leur père. Lorsqu’Adam se trouve ruiné, Cal entrevoit alors l’occasion de gagner l’affection de son père en faisant fortune grâce à la guerre qui se profile à l’horizon. Mais il s’apprête en fait à commettre une faute qui conduira au pire.

Timshel.

Paru en 1952, À l’est d’Eden est un roman fleuve de John Steinbeck qui retrace la vie de deux familles sur plusieurs générations dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle et le début du XXe. À travers notamment une relecture du mythe d’Abel et Caïn, l’auteur y discourt sur le bien et le mal, sur la fatalité et le pouvoir d’y renoncer, sur le péché et la repentance, sur le désir d’amour et de reconnaissance. Autant de thèmes qui ne pouvaient qu’intéresser Elia Kazan qui n’aura eu de cesse de sonder la société et les âmes humaines. Le réalisateur décide ainsi d’adapter seulement trois ans après sa parution le roman de Steinbeck, avec lequel il vient d’ailleurs de collaborer sur Viva Zapata. Pour autant, il ne demande pas à l’auteur de signer lui-même l’adaptation de son œuvre mais se tourne vers Paul Osborn et choisit de se focaliser uniquement sur la dernière partie du livre et de se centrer sur le personnage de Caleb.

Elia Kazan fait clairement sienne l’histoire écrite par John Steinbeck, dans laquelle il retrouve la relation complexe qu’il a eu avec son père, conflictuelle mais pour autant non dénuée d’amour. À l’est d’Eden s’inscrit également dans les films qu’Elia Kazan va réaliser après avoir dénoncé plusieurs personnalités devant la commission McCarthy en 1952. Celui qui fut lui-même membre du parti communiste dans les années 30 et qui partage nombre de ces idéaux continuera de justifier son acte par sa profonde aversion pour la politique de l’URSS de l’époque, mais il n’en demeure pas moins que ses films qui suivront cet événement apparaissent à plus d’un niveau comme des actes de repentance. À l’est d’Eden n’échappe pas à cette règle. Difficile en effet de ne pas voir un écho dans l’histoire de Cal qui, pensant faire un acte bon, commet en fait une grave erreur qui ne fera qu’apporter le malheur, et l’enfoncera encore plus vers le péché, avant qu’il ne fasse preuve d’une sincère repentance.

Elia Kazan possède la même ambivalence que Cal. Personnage en qui tient tout le thème central de l’œuvre, le lien entre le bien et le mal, qui ne peut justement se résumer au simple manichéisme. Cal c’est l’humanité toute entière, héritière du péché originel, mais qui a le pouvoir de s’en écarter. « Timshel », « tu peux », tel est le maître mot du roman de Steinbeck. Il n’a pas non plus échappé à Kazan que le péché de Cal est également le pur produit de la société qui l’entoure. Laissé pour compte face au puritanisme représenté par son père et son frère, Cal cherche sa place. Mais si Adam est un rêveur qui a eu la chance de n’avoir jamais eu à travailler, et qu’Aron peut être idéaliste car uniquement intellectuel, Cal vit lui dans le réel d’une société dominée par le pouvoir de l’argent et qui va le corrompre.

Ainsi Kazan reste fidèle à la tradition de son cinéma social. Il appuie particulièrement les événements relatifs à la Première Guerre mondiale, qui sont dans le roman avant tout descriptifs. L’entrée en guerre patriotique et pleine de joie, avant que la mort ne vienne frapper à la porte. Et surtout le lynchage des citoyens américains d’origine allemande, qui renvoie directement au passé d’immigré du réalisateur. Par contre, on peut s’étonner de l’éviction totale du personnage de Lee, pourtant majeur dans le roman et dénonciation forte du racisme, thème cher à Kazan. Simplification narrative ou exigence de la Warner ? N’oublions pas en effet qu’À l’est d’Eden reste un film de studio, et ce malgré l’énorme influence qu’avait Elia Kazan à l’époque.

À l'est d'Eden
Le Scope et la couleur sont donc de rigueur, certaines séquences sont tournées en extérieur, à Salinas notamment, berceau de l’histoire, mais le film s’offre de nombreux décors en studio dont celui d’un fête foraine, séquence absente du roman. La mise en scène d’Elia Kazan se veut dans l’ensemble assez conventionnelle. Le réalisateur se plaindra d’ailleurs du Scope qui l’empêchera d’être aussi proche des acteurs qu’il aurait voulu. Il utilisera cependant parfois la distorsion de l’image dans un but dramatique, et se permettra aussi de basculer l’angle de la caméra lors d’une séquence de face à face à la tension mémorable entre Cal et son père. Mais ce qui fait, et a d’ailleurs toujours fait, l’essence de la mise en scène de Kazan, c’est son travail avec les comédiens. Et celui qui avait fait découvrir Marlon Brando quelques années auparavant, allait mettre en lumière un nouveau diamant brut, James Dean.

Co-fondateur de l’Actors Studio, Elia Kazan se revendique de la Méthode, et de son jeu naturaliste. Aussi voit-il en James Dean l’interprète parfait pour Cal. Le jeune acteur, adepte des errances nocturnes, est aussi tourmenté qu’ultra-sensible, aussi indomptable que fragile, aussi imprévisible que perfectionniste. Diriger James Dean s’avèrera le principal challenge pour Elia Kazan, qui saura cependant tirer le meilleur de cet acteur novice devant la caméra et peu rompu aux exigences particulières d’un tournage. Malmenant son poulain par moments, l’encourageant à d’autres, utilisant sa rivalité avec le comédien Raymond Massey, qui incarne son père, autant que l’influence positive qu’avait sa partenaire Julie Harris sur lui. Si James Dean transcende l’écran et qu’il est l’élément clé de la réussite d’À l’est d’Eden, il doit l’excellence de sa prestation à la direction d’Elia Kazan, et à l’appui de ses partenaires à l’écran. Si le roman de Steinbeck est avant tout un roman de personnages, le film d’Elia Kazan est ainsi lui surtout un film d’acteurs. On ne pouvait de fait pas rêver meilleure adaptation.


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