GRAZIE ÉMILIE !
Elle est le visage de cette 14ᵉ édition du festival De l’écrit à l’écran. Sourire radieux, regard pétillant de vie, toute la grâce et la douceur solaire d’Emilie Dequenne irradient l’affiche concoctée par les organisateur·ices du rendez-vous cinéphile montilien. En ce 23 septembre 2025, son œuvre et sa mémoire étaient honorées en présence de ses proches, dans un moment à la fois émouvant et fédérateur.
Pour célébrer son souvenir, en chansons comme en cinéma, plusieurs rendez-vous étaient proposés. Le cinéma d’art et d’essai Les Templiers accueillait des projections de deux films marquants de sa carrière, Rosetta et Pas son genre, délicat portrait de femme où son naturel bouleversait autant que sa justesse. Parallèlement, le Palais des Congrès vibrait aux sons des chansons qu’Émilie aimait, résonnant comme un fil invisible entre l’artiste et celles et ceux venu·e·s lui rendre hommage.
« Vive la Dequenne ! »
Révélée très jeune, Émilie Dequenne s’est rapidement imposée comme l’une des comédiennes les plus marquantes de sa génération. Son talent protéiforme l’a conduite vers des registres très variés : le drame intime (À perdre la raison de Joachim Lafosse, qui lui valut le prix d’interprétation à Cannes dans la section Un Certain Regard), la chronique sentimentale (Pas son genre de Lucas Belvaux et Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret, qui lui valut le César du meilleur second rôle), ou encore le récent Close de Lukas Dhont, dans lequel elle incarnait la mère aimante d’un adolescent confronté à la tragédie. À chaque rôle, Dequenne imposait une intensité, une sincérité et une humanité qui marquaient durablement les spectateur·ices.

Rosetta (1999)
Son souvenir reste également vif chez les cinéastes qui l’ont dirigée et ses partenaires de jeu. Présent à Montélimar pour lui rendre hommage, Lucas Belvaux a confié un souvenir qui, pour lui, résumait parfaitement quelle actrice Émilie Dequenne était :
« On tournait un plan qui était compliqué pour elle, c’était une scène forte en termes d’émotion, de jeu, avec un travelling. Ce genre de plan compliqué où toute l’équipe est très, très concentrée, où l’acteur ou l’actrice doit rester très concentré·e aussi. On fait le plan, et à un moment, il y a une prise où elle est absolument magnifique. Je vois ce qui se passe sur mon moniteur. Toute l’équipe, était emportée par ce qui se passait sur son visage, dans son jeu. Parfois, dans ces cas-là, on a du mal à couper, il y a comme un temps de suspension à la fin de la scène. Je dis Coupez ! Tout le monde était encore dans la scène. Je dis à Emilie que c’est super et qu’on peut passer au plan suivant, qu’on aura jamais mieux. Et là, elle m’a dit : mais t’as pas été gêné par la mobylette qui passait dehors ? Personne n’avait entendu cette mobylette, à part elle et l’ingénieur du son. On était tellement pris par son jeu, mais elle était capable d’avoir à la fois cette capacité à être pleinement dans le personnage et dans l’émotion qu’elle était en train de jouer, et en même temps, de garder la maîtrise absolue de l’environnement. Moi, je ne voyais qu’elle… »

Pas son genre (2014)
Le désir de faire du cinéma
Révélé lui aussi par les frères Dardenne, son compatriote Jérémie Rénier — invité à Montélimar pour une projection spéciale de son documentaire très personnel D’un monde à l’autre (sur le deuil de son ami Gaspard Ulliel) — nous a accordé quelques minutes pour raconter ce « lien invisible qui les a unis jeunes, sans se connaître », et qu’il admirait pour sa détermination.
« Emilie et moi, nous étions un peu les deux premiers jeunes guerriers des Dardenne. On s’est finalement retrouvé·e·s plus tard sur un film à l’opposé du cinéma des Dardenne, Le pacte des loups. Emilie, elle avait cette candeur et en même temps cette force. Elle a envie de bouffer la vie. Son rire était très communicatif. Elle aimait faire la fête et on a souvent profité ensemble des nuits parisiennes.«
Le Bruxellois avoue l’avoir longtemps admirée pour son ambition : « Elle aimait ce métier. Elle était prête à se battre pour y arriver, contrairement à moi qui ne l’assumais pas encore. Sa puissance, sa volonté, ça m’épatait. » Quelques heures plus tard, après la vidéo de Tahar Rahim projetée dans le village du festival et avant la projection de Les braises de Thomas Kruithof, Virginie Efira saluait l’initiative rendue à celle qui lui avait donné « le désir de faire du cinéma, à travers son visage, son énergie » et qui l’avait toujours considérée et encouragée, sans jamais la prendre de haut, même lorsqu’elle n’était « qu’une simple animatrice de télévision ».

Emilie Dequenne lors du 77e festival de Cannes (2024) – Photo LP / Fred Dugit
Célébrer la vie
Danielle Gain, son agent qui l’a accompagnée de ses débuts jusqu’à son tout dernier rôle, s’étonnait que les mots qui revenaient le plus auprès des spectateur·ices soient « magnétique » et « lumineuse », estimant qu’Émilie était avant tout authentique et généreuse dans tous les pans de sa vie. « Tous les rôles lui tenaient à cœur. Même si on lui faisait un pont d’or, elle refusait des propositions si elles ne lui plaisaient pas. Elle n’aurait jamais joué pour l’argent. » Concernant Emmanuel Mouret, elle nous confie qu’Émilie avait décliné plusieurs rôles principaux avant d’accepter celui des Choses qu’on dit, pourtant secondaire.
Autant de témoignages qui ont profondément ému les parents d’Émilie Dequenne, ainsi que sa fille Milla, qui mesurait la chance d’avoir eu une mère qui n’avait jamais négligé sa présence maternelle au profit de sa carrière. Pour elle, ses rôles de mère, chez Lukas Dhont ou dans son ultime long-métrage, TKT, reflétaient fidèlement la bienveillance dont elle faisait preuve tant dans sa vie professionnelle que personnelle. « Maman voulait qu’on célèbre la vie. »
« Ce qu’elle donnait d’elle n’était jamais très différent de ce qu’elle nous donnait à la main. Il n’y avait pas de sujets tabous, de discours policés.«

TKT (2025)
Une ultime apparition sur grand écran
Hasard (ou non) du calendrier, la sortie de TKT, ce mercredi 24 septembre, vient sceller son parcours. Ce drame social consacré au harcèlement scolaire porte les mêmes valeurs humanistes. Nuançons toutefois : malgré ses intentions louables et son sujet d’actualité, il reste traversé par certaines limites dans son traitement. S’il sensibilise efficacement au désarroi adolescent, il élude la dimension légale de la diffusion de contenus sexuels non consentis et n’évoque jamais explicitement le slut-shaming, pourtant déclencheur du drame central. Malgré ces fragilités, la prestation d’Émilie Dequenne témoigne une fois encore de son engagement, même dans un projet imparfait, à mettre son art au service des causes qui la touchaient.
Un hommage à son image
À Montélimar, l’hommage fut à la mesure de son parcours : lumineux, sincère et généreux. Plus qu’un simple salut à une carrière, c’était une célébration de la femme et de l’actrice, dont l’humilité et la force de jeu avaient conquis le public et la profession. En vingt-cinq ans, Émilie Dequenne aura incarné des personnages de toutes conditions, avec la même intensité et cette vérité qui rendaient sa présence inoubliable. Sa disparition laisse un vide immense, mais son œuvre, elle, continuera longtemps d’éclairer nos écrans et nos mémoires.






