SÉLECTION | Quand l’horreur est féministe
HELL IS A TEENAGE GIRL : Quand l’horreur est féministe
Violences, culture du viol, misogynie mais aussi puberté ; de nombreux films ont exploré avec créativité et intelligence la façon dont le quotidien des femmes, à lui seul, est déja horrifique. En féminisant des personnages habituellement masculins – le monstre, le savant fou, le psychopathe -, ils exorcisent les souffrances féminines avec ironie et font changer la peur de camp, nous rappelant ainsi que, si les femmes sont les grandes victimes du cinéma, elles savent aussi se défendre. Voici une playlist de dix films recoupant ces thématiques, ancrés dans le XXIème siècle et le contemporain.
Jennifer’s Body (2009), Karyn Kusama : La sexualité dévorante
Impossible de ne pas mentionner ce chef d’oeuvre lorsque l’on parle d’horreur féministe… Megan Fox est Jennifer, la sublime cheerleader vaguement imbue d’elle-même, tandis qu’Amanda Seyfried campe Needy, sa meilleure amie nerd et introvertie. Leur vie bascule lorsqu’elles croisent le chemin d’un groupe de rock malveillant, qui transforme accidentellement Jennifer en (véritable) croqueuse d’hommes. Totalement incompris à sa sortie, Jennifer’s Body a été injustement marketé comme un spectacle sexy pour les hommes, alors même qu’il déjoue avec brio le male gaze et les attentes du public masculin concernant Megan Fox, avant d’être rapidement réduit au rang de navet. Aujourd’hui heureusement réhabilité comme un classique queer et féministe, Jennifer’s body parle avec une ironie féroce de culture du viol et de bisexualité, tout en taclant méchamment les catégories patriarcales “slut/virgin” et la médiocrité masculine. Un must-see.
The Love Witch (2016), Anna Biller : S’émanciper des hommes
La première bonne raison de voir The Love Witch, c’est probablement son esthétique kitsch soignée et son travail autour des décors et des costumes, qui raviront toutes les fans de sorcellerie. Les atouts du film ne s’arrêtent cependant pas là, et The Love Witch est aussi un conte mi-humoristique, mi-tragique sur les ravages du patriarcat chez les femmes et sur leurs attentes amoureuses. Anna Biller évoque ainsi le viol, le meurtre et l’emprise psychologique dans cette oeuvre plus profonde qu’elle n’y paraît et qui laisse un étrange arrière goût amer après visionnage.
Teeth, Mitchell Lichtenstein (2007) : Consentement ou castration
Reprenant à son compte le mythe fascinant du vagina dentata, le vagin pourvu de dents, Teeth (dont le titre dit tout) a osé raconter tout haut l’histoire dont tout le monde rêvait tout bas… sans pour autant se vautrer ni dans le gore, ni dans la lourdeur. Il interroge au contraire, avec une finesse non dénuée d’humour, la notion de virginité, de désir et de consentement, en faisant la part belle à son personnage principal, Dawn (très justement interprété par Jess Weixler) dont l’arc narratif explose les archétypes habituels des femmes dans l’horreur et le teen movie. On retiendra son hommage aux Griffes de la nuit en couverture et son énergie vengeresse jubilatoire.
The Witch, Robert Eggers (2014) : Échapper au puritanisme
Sobre et efficace, The Witch (et sa resplendissante actrice principale, Anya Taylor-Joy), sorti en 2015, s’inscrit dans l’engouement récent du cinéma pour l’elevated horror, soit l’horreur art et essai, loin des gros blockbusters gores des années 2000. Avec son atmosphère feutrée et étouffante, il revisite les procès des sorcières dans les communautés protestantes américaines du début du XVIIème façon Salem, et se saisit de l’occasion pour parler des injonctions faites aux femmes à cette époque-là. Très minimaliste, le film a pâti d’une promotion quelque peu sensationnaliste qui est passée à côté de la véritable question soulevée par l’œuvre : la liberté féminine et ses modalités. A regarder dans le noir pour une immersion totale.
Ginger Snaps, John Fawcette (2000) : La puberté monstrueuse
Peu connu du grand public, Ginger Snaps est l’œuvre qui a inspiré Karyn Kusama pour Jennifer’s Body, lequel lui rend un hommage vibrant en reprenant sa trame narrative et certains de ses plans iconiques. A défaut de parler de démon tueur de garçons, Ginger Snaps parle de loup-garou, de sororité et d’un sujet qui fait plus peur encore que tous les monstres réunis : les règles. En cela, il reste probablement le film ayant exploité le thème de la puberté avec le plus de génie et de créativité, tout en soignant son atmosphère de série B et de teenage movie grunge.
The Beguilded (Les proies), Sofia Coppola (2017) : sororité vengeresse
Virgin Suicides meets Psycho ! Le dernier film rose poudré de Sofia Coppola est en fait un remake de l’œuvre en noir et blanc de Don Siegel, sortie en 1971 avec Clint Eastwood comme tête d’affiche. Huis-clos d’époque étouffant, il explore les relations d’amour et de haine qui se créent entre trois générations de femmes et un soldat séduisant réfugié dans leur pensionnat. Si la version originale est également savoureuse et terrifiante, on retiendra celle de Coppola pour son habileté à marier ce récit horrifique à son univers girly et délicat habituel. Porté par un casting d’exception (Nicole Kidman, Elle Fanning et Kirsten Dunst, sa muse de toujours), Les proies version Sofia est un petit bonbon vénéneux qui, sans révolutionner le genre horrifique, mérite amplement sa place au palmarès.
American Mary, Jen et Sylvia Soska (2012) : Réécrire le rôle de la victime
Porté par Katharine Isabelle, qui tient aussi le rôle principal dans Ginger Snaps, American Mary fait partie de ces films d’horreur trop vite oubliés, sans doute parce que, comme Jennifer’s Body, il s’adresse viscéralement aux femmes et parle d’elles. Reprenant avec intelligence les codes du body horror, Jen et Sylvia Soska livrent un petit bijou atmosphérique aux tons rouge sang et à l’esthétique gothique BDSM dont il est difficile de détacher le regard et où les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on soupçonne. Sans jamais tomber dans le voyeurisme ou la violence gratuite (malgré ce que laisse présager son poster ultra sanglant), les réalisatrices parlent des violences faites aux femmes, du droit à disposer de son corps et de vengeance avec une subtilité surprenante, tout en régalant les amateurs du genre.
A Girl Walks Alone At Night, Ana Lily Amirpour (2014) : l’insécurité de l’espace public
Dans un registre totalement différent, Ana Lily Amirpour revisite le film de vampire pour renverser les rôles traditionnels. Avec la poésie et la délicatesse du noir et blanc, elle nous parle d’amour, de monstres… mais aussi des rues désertes la nuit, dans lesquelles les femmes ne sont pas censées s’égarer. Ethéré, sensuel, rock’n’roll, A girl walks alone at night offre un twist inattendu au genre horrifique et fera rêver les plus romantiques.
Grave, Julia Ducournau (2016) : Le coming of age sanglant
Avant de remporter la palme d’or cette année à Cannes pour Titane, Julia Ducournau avait déja fait sensation avec son premier long-métrage sanglant et sexy. Tout en rendant hommage au gore décomplexé du body horror, Grave est avant tout le récit de la découverte de son corps et de sa sexualité, ici associée à un appétit insatiable et mortel. C’est aussi une histoire de sœurs et de solidarité féminine, envers et contre tout. Les plus cinéphiles savoureront les clins d’oeil à Trouble everyday de Claire Denis et les amateurs d’horreur, l’ambiance école vétérinaire glauque à souhait… Âmes sensibles s’abstenir !
Midsommar, Ari Aster (2019) : La rupture abusive
Si les films d’horreur sont prompt à traiter de la violence physique, rares sont ceux qui abordent le sujet d’une des plus grandes souffrances psychologique qui soit : la rupture amoureuse. Décrit par son réalisateur comme le film parfait pour ceux -mais surtout celles- qui traversent une rupture amoureuse, Midsommar, avant de nous parler de secte, de sacrifice et de deuil, nous parle de chagrin d’amour et de l’épuisement d’une jeune femme face à la médiocrité de son partenaire. Un voyage éprouvant mais qui vaut le coup.