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FANTA KEBE & SHIREL NATAF | Interview

Au lendemain de l’ouverture du festival De l’écrit à l’écran de Montélimar, les comédiennes Shirel Nataf et Fanta Kebe nous ont accordé un entretien à l’issue de la présentation du film Ma frère dans le cadre de la sélection Nouvelles écritures. Entre complicité à l’écran et amitié dans la vie, elles reviennent sur leur parcours et sur leur collaboration étroite avec les réalisatrices Romane Guéret et Lise Akoka, de la mini-série Tu préfères (Arte) au long-métrage qui en prolonge les enjeux, évoquant au passage les thématiques fortes du film : la sororité, l’entrée dans l’âge adulte, et une représentation plus juste de la jeunesse des quartiers populaires.

Vous venez de présenter Ma frère au public du festival De l’écrit à l’écran, peut-être différent d’autres avant-premières que vous avez faites depuis celle au festival de Cannes. Comment s’est passée cette présentation du film et la rencontre avec le public ?

Shirel Nataf : Très bien. On a eu un bon public et des questions pertinentes. C’était parfait. On a pu échanger avec les gens.

Fanta Kebe : Oui, les questions étaient intéressantes, même si elles étaient plus souvent pour les réalisatrices, avec des questions un peu plus techniques sur le film. Les jeunes, par contre, sont plus curieux des scènes comme celle que Shirel a tournée avec Zach.

Shirel : Ils veulent savoir si on a vraiment dû s’embrasser. C’est toujours drôle !

L’ironie c’est que dans le premier film de Lise et Romane, Les pires, il y avait justement une scène avec Mallory Wanecque qui devait collaborer avec une coordinatrice d’intimité… Comment vous avez préparé cette scène de la tente, justement ?

Shirel : C’était la première fois que je devais embrasser quelqu’un dans un film, donc j’étais un peu stressée. Mais on a eu une coordinatrice d’intimité qui m’a bien rassurée. Elle a répondu à toutes mes questions et on a fait beaucoup de travail de chorégraphie, ce qui nous a permis de nous sentir à l’aise. Avec Zach, on se connaît bien, donc ça a facilité les choses.

Vous vous connaissez depuis longtemps visiblement et vous collaborez maintenant depuis quelques années avec les réalisatrices… Aviez-vous le sentiment d’une sorte de famille recomposée sur le tournage ?

Shirel : Oui, on s’est rencontrées bien avant Tu préfères, en fait. Ça fait des années qu’on bosse ensemble, même sur des projets séparés, donc il y a une vraie complicité entre nous.

Fanta : C’est ce qui fait qu’on a un lien spécial. On se connaît vraiment bien, presque comme une famille.

Comment les réalisatrices vous ont-elles accompagnées dans le développement de vos personnages ?

Fanta : Il y a eu beaucoup de travail en amont. On a fait des immersions avec des enfants en centre de loisirs, et même des colonies de vacances. C’était un peu chaotique, mais aussi super naturel. On a vraiment vécu ça avec eux. C’était pas toujours très académique, mais ça a nourri notre jeu. Elles se sont aussi inspirées de notre expérience personnelle, donc nos personnages ont un peu de nous. Ça reste de la fiction. C’est parfois subtil, mais on peut se reconnaître.

Les anciennes générations ont longtemps porté des sujets tabous, elles en ont souffert… Notre génération a envie de changer les choses, d’arrêter de se mettre des barrières.

Est-ce que votre amitié dans la vraie vie a nourri votre jeu d’actrices dans la mini-série et le film, avec votre entrée dans la vie adulte et l’évolution de vos perspectives respectives ?

Fanta : Bien sûr ! Le lien qu’on a dans la vie réelle se retranscrit à l’écran. On a grandi ensemble, on a traversé des moments forts, on se connait par coeur. ça nous a aidées et ça se voit dans notre complicité je crois.

Shirel : On avait grandi avec nos personnages. Exactement, c’est quelque chose qui n’existe qu’entre nous. C’est unique. Même dans les scènes où ça chauffe entre nos personnages, on puise dans notre propre histoire et ça nous arrivait d’en reparler après une journée de tournage.

Fanta : Parfois, on se disait, comme Shaï et Djeneba : « Il faut qu’on parle un peu plus, qu’on mette de l’eau dans notre vin. »

Crédits photos © Xavier Bouvier – De l’écrit à l’écran

Avez-vous l’impression que cette amitié, qui est un des cœurs battants du film, reflète aussi quelque chose de plus large sur la représentation des femmes à l’écran ?

Fanta : Oui, je suis totalement d’accord et je trouve que c’est beau cette amitié entre deux femmes qui s’expriment sans filtres. Je pense que c’est une amitié qui casse des clichés. L’amitié féminine est souvent perçue comme fragile, mais là, on montre quelque chose de solide, de vrai. C’est beau et ça ne se voit pas assez au cinéma.

Shirel : Oui, cette sororité est plus forte que tout. Et c’est aussi une forme de famille. C’est rare de voir ça, surtout de façon aussi authentique.

L’amitié entre les deux copains est belle aussi, mais encore bloquée par certaines injonctions à la virilité…

Fanta : C’est dommage que les hommes n’aient pas cette proximité. Que la masculinité toxique puisse tout gâcher.

« Arrête de pleurer, frère« , comme dit Ismaël dans la mini-série. Cela reflète une peur de se montrer plus fragile, à gérer certaines émotions impudiques qui mettent mal à l’aise… 

Shirel : On a envie de lui dire : laisse-le pleurer, ça lui fera du bien. Mais je pense que les hommes ont peur des jugements. Ce sont pas les mêmes jugements que nous les femmes, les commentaires sur notre tenue, nos fréquentations, mais ils s’empêchent d’exprimer ce qu’ils ressentent vraiment…

Fanta : Alors que ça enferme…

Avez-vous l’impression que le film brise des tabous ?

Shirel : Oui, on parle de choses qu’on n’ose pas toujours dire, comme la sexualité, les identités de genre, la famille toxique… C’est important de dédramatiser ces sujets, de les rendre visibles.

Fanta : Je suis d’accord. Les anciennes générations ont longtemps porté en elles des sujets tabous, elles en ont souffert, alors qu’il suffirait juste d’en parler. C’était déjà l’idée de Tu prèfères : mettre les pieds dans le plat. Ça ne reflétait pas forcément notre façon de penser, mais ça permettait de mettre ces sujets sur la table. Le film montre aussi différents types de relations, des situations qui sont vécues par beaucoup, mais qui sont souvent mises de côté. Notre génération a envie de changer les choses, d’arrêter de se mettre des barrières.

Le film aborde aussi des thèmes liés à l’identité, à la communauté LGBTQ+, parfois à hauteur d’enfant. Que pensez-vous de la manière dont le film représentait certaines minorités parfois invisibilisées ?

Fanta : Ce que j’aime dans le film, c’est qu’on présente ça de manière hyper naturelle, presque sans y penser. Les enfants, eux, ne se posent même pas la question. C’est un non-sujet pour eux.

Shirel : Exactement, tout est abordé avec une simplicité qui fait du bien. Le personnage de Naël·le, par exemple, évolue sans que cela soit un problème. C’est juste une réalité, une autre manière de vivre.

Vous avez eu des retours sur l’impact que pourrait avoir le film sur les jeunes, notamment dans cette représentation des banlieues et des questions de diversité ?

Fanta : Pour l’instant, les retours viennent surtout de festivals. À Cannes, par exemple, une jeune femme m’a dit qu’elle se reconnaissait totalement dans les situations du film et qu’elle était heureuse de voir une fille avec une coupe afro qui se trouvait belle avec ses cheveux bouclés. Une autre a parlé de la peur du jugement lorsqu’on n’a pas les mêmes origines, les mêmes croyances… C’est ça qui est beau : se dire qu’on peut aider les gens à se sentir représentés. En Norvège, où j’étais invitée pour présenter le film, une personne âgée m’a dit que c’était génial de voir les jeunes s’exprimer aussi librement, avec autant d’authenticité. C’était un beau moment.

Shirel : Comme mon personnage, qui est juive et pour qui c’est compliqué d’envisager de se marier avec un musulman. C’est exactement ce qu’on voulait. Montrer que, peu importe d’où tu viens, tu peux t’identifier à cette amitié, à cette complicité, à ces personnages qu’on voit dans le film…


Entretien réalisé le 20 septembre 2025 au festival de Montélimar


Remerciements : Julien Vivet & Rachel Bouillon – Crédits photos © Xavier Bouvier