FLUSH
Un cocaïnomane d’âge mûr se retrouve coincé dans les toilettes d’un bar après avoir volé de la drogue en tentant de reconquérir son ex. Sa nuit tourne au chaos, et les événements deviennent de plus en plus étranges et grotesques.
CRITIQUE DU FILM
Présenté en avant-première française et en présence de l’équipe du film lors de la 31ème édition de l’Étrange Festival, le premier film du français Grégory Morin, Flush, a fait très forte impression. Il faut dire qu’avec son concept improbable, c’est le genre de films qui ne laisse personne indifférent et pour lequel on se dit : « ça passe ou ça casse ». Et autant le dire d’emblée : ça passe formidablement bien ! Même si ça va laisser quelques traces…
Attention, œuvre à part !
L’histoire est celle de Luc (Jonathan Lambert), un pauvre type, le loser dans toute sa splendeur, qui tente de reconquérir son ex. Dans les toilettes du bar où elle travaille, il ne trouve rien de mieux que de se faire un petit rail de coke pour se donner du courage (avertissement citoyen : la drogue, c’est mal et ça mène à des situations plutôt déplaisantes, comme vous vous en rendrez compte avec Luc…). Sauf que par un enchaînement de circonstances savoureux (ou pas), Luc finit la tête coincée dans le trou des toilettes à la turque ! Voilà ce qu’on appelle “être vraiment dans la merde”. Et c’est parti pour 1h10 de folie furieuse…
Le huis-clos extrême est un genre à part entière qui a vu l’émergence de quelques films qui ont marqué le public. On pense bien sûr aux expériences claustrophobes de Phone Game de Joel Schumacher (2002) où Colin Farrell est piégé dans une cabine téléphonique, et plus encore à Buried de Rodrigo Cortés (2010), qui voit Ryan Reynolds enterré vivant dans un cercueil. En raison des contraintes inhérentes au concept, la mise en scène doit constamment se réinventer dans cet espace minuscule pour garder l’intérêt du spectateur.

En plaçant son histoire dans les toilettes répugnantes d’un bar, Morin décide de pousser les curseurs un peu plus loin et d’assumer sans retenue les excès de sa comédie trash. Tourné en studio en trois semaines seulement, en pleine période COVID, le film a pu voir le jour malgré un budget dérisoire, souvent complété au fil du temps par des levées de fonds improvisées. Démonstration éclatante que lorsqu’on n’a pas d’argent, il suffit d’avoir des idées, de l’inventivité, et une bonne dose de culot. Il faut aussi beaucoup de talents pour valoriser tout ça, et le film n’en manque pas. Le manque de moyens ne se fait jamais sentir et le réalisateur et son équipe ont parfaitement su exploiter chacun de leurs délires. Chaque recoin des toilettes devient ici un espace de mise en scène : plans serrés, mouvements inventifs, détails aussi grotesques que saisissants. Comme dans les meilleures comédies, tout est millimétré, rien n’est laissé au hasard.
Réalisateur de plusieurs courts-métrages, Grégory Morin a attendu d’avoir la cinquantaine pour réaliser son premier long-métrage. Ce cinéphile acharné, spectateur assidu de l’Étrange Festival depuis de nombreuses années, connaît ses classiques et notamment du côté du cinéma asiatique. À la manière d’un Takashi Miike, il fait subir les épreuves les plus dégradantes et douloureuses à son héros. Avec l’aide de son co-scénariste David Neiss, il prend un malin plaisir à humilier son personnage, mais sans jamais lui faire perdre son humanité.
C’est ici qu’il faut saluer la performance du génial Jonathan Lambert qui porte littéralement le film sur ses épaules… bien qu’il ait la tête au fond de la cuvette. Il n’y a bien que lui et son humour barré pour accepter de jouer un tel rôle. Habitué aux personnages de marginaux, d’excentriques ou de ratés dans ses sketchs à la télévision, il se livre ici à une performance physique, totale, qui confine parfois au masochisme. Entre hurlements, contorsions, dégoût et désespoir, son corps devient l’instrument du film, jusqu’à susciter, dans l’horreur même, une forme d’attachement. On rit, on grimace, mais on finit par s’émouvoir de ce personnage pathétique et humain, coincé (au propre comme au figuré) entre ses échecs, sa solitude et son besoin d’amour, et on admire ses ressources insoupçonnées pour tenter de se sortir de la pire des situations.

Flush assume le trash, l’absurde et la vulgarité, mais toujours avec intelligence. De son postulat improbable, Grégory Morin tire un huis clos aussi répugnant que hilarant. Il embrasse le ridicule et l’excès pour transformer ce décor sordide et dégueulasse en terrain de jeu pour sa comédie noire. C’est bien simple, on n’avait pas vu un tel OVNI surgir dans le cinéma français depuis Albert Dupontel et son Bernie (1996). On retrouve également un peu de l’énergie hallucinée et nihiliste d’un Gaspar Noé, tant dans le cauchemar grotesque du récit que dans le style, avec cette caméra qui virevolte et se faufile dans les moindres interstices.
Mais Flush ne se contente pas d’aligner provocations et débordements. Dans ce chaos d’odeurs et d’images, Morin parvient – et c’est peut-être le plus surprenant – à injecter de l’émotion sincère, presque tendre, dans les désastres de son personnage. Sa plus grande réussite tient à ce numéro d’équilibriste permanent, toujours sur le fil. C’est une proposition radicale, frontale et pourtant d’une grande sincérité. Dans la salle, comme dans des montagnes russes, le public passe par tous les sentiments. Les réactions de dégoût succèdent aux éclats de rire choqués, avant de laisser place aux applaudissements saluant l’ingéniosité de la mise en scène et de ses rebondissements.
Véritable Tex Avery sous coke, Flush est le genre de cinéma qui tranche dans le paysage, qui s’affranchit des normes et de la bienséance pour livrer un objet de pure liberté, totalement jubilatoire. Un mélange détonnant entre le rire et le malaise, le sale et le touchant qui en fait une œuvre unique. Instantanément culte.






