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35 HEURES, C’EST DÉJÀ TROP !

Alors que son entreprise est en train de licencier ses employés, Peter Gibbons décide de ne plus se rendre au travail. Lorsque ces licenciements affectent deux de ses amis, les trois collègues ont bien l’intention de prendre leur revanche. Pour arriver à leurs fins, ils ont alors l’idée de planter un virus dans les ordinateurs de leur ancienne compagnie afin de détourner son argent.

CRITIQUE DU FILM

Bleu de travail, bleus au travail ✊

Dans le courant des années 1990, l’animation satirique américaine a vu émerger des noms désormais célèbres : Matt Groening, le duo Trey Parker et Matt Stone, ou encore Seth MacFarlane. Ce sont les plus connus en France, mais une autre figure mérite une attention particulière : Mike Judge. Si l’on connaît vaguement les deux énergumènes crétins et ricanants que sont Beavis et Butt-Head, l’ensemble de son œuvre reste beaucoup moins populaire dans l’Hexagone qu’outre-Atlantique. Il faut dire que son style, oscillant entre traits réalistes et animation, rompt avec le caractère plus cartoonesque des artistes précédemment cités. Mais c’est précisément cette singularité qui lui permettra de passer plus aisément au cinéma. En reprenant une série de sketchs animés conçue pour le Saturday Night Live, il imagine Office Space (35 heures, c’est déjà trop) : une réaction cathartique aux frustrations du monde professionnel.

Ce monde du travail, nous le découvrons à travers les yeux de Peter Gibbons (Ron Livingston), employé d’une entreprise informatique, las de tout : des embouteillages quotidiens, de l’infantilisation imposée par ses supérieurs, du sentiment d’inutilité et du temps qui s’étire. Alors que la société se lance dans une opération de « downsizing » (réduction des effectifs), Peter décide de transformer cette crise en opportunité : paresse et vengeance deviennent ses maîtres mots, en compagnie de ses amis Michael (David Herman) et Samir (Ajay Naidu).

Cette expression de la lassitude au travail, Judge la rend percutante en dépeignant des situations que chacun peut reconnaître. L’ouverture du film, avec un embouteillage interminable, en est une démonstration brillante : freinages incessants, frustration de voir la voie d’à côté avancer plus vite, absence de places de parking… autant d’éléments exagérés comme dans un cartoon, mais ancrés dans une vérité universelle. Ce sens du détail, entre quotidien et absurdité, irrigue tout le film. Les scènes au bureau multiplient les trouvailles : changement perpétuel de poste pour un employé maltraité, photocopieuse récalcitrante…

Office space

Ces séquences provoquent des rires jaunes, tant le film vise juste dans sa représentation de la frustration au travail. Une frustration que Peter exprime ouvertement, en se demandant pourquoi il continue à travailler, ou en faisant de l’absence de harcèlement sa seule motivation professionnelle. 35h c’est déjà trop n’a rien perdu de sa pertinence, surtout à l’heure du « quiet quitting », cette tendance à ne faire que le strict minimum au travail. L’intelligence du film réside aussi dans le fait de ne pas restreindre sa satire aux « open spaces ». En parallèle, on suit Joanna (Jennifer Aniston), serveuse dans un restaurant et future compagne de Peter, elle aussi victime d’une hiérarchie tatillonne et d’un management absurde.

Mike Judge excelle également à montrer le côté comique — et parfois libérateur — de la rébellion contre ces pressions professionnelles. La fameuse scène du « passage à tabac » d’une photocopieuse, portée par un morceau de rap, illustre parfaitement ce mélange entre geste anodin et fantasme de revanche démesuré. Une séquence cathartique, qui incarne la force du film : imaginer une réponse à la morosité plutôt que de simplement la décrire.

À une époque où la fiction américaine tend à représenter le travail comme une nouvelle forme de famille (The Office, Abbott Elementary, Superstore…), la satire de 35h c’est déjà trop n’a jamais paru aussi pertinente. Plus qu’une comédie culte, c’est un miroir toujours juste d’un monde professionnel déshumanisant — et un film qui mériterait d’être redécouvert.


Cycle Chroniques du labeur

Bleu de travail, bleus au travail