MEKTOUB, MY LOVE : CANTO DUE
Amin revient à Sète après ses études à Paris, rêvant toujours de cinéma. Un producteur américain en vacances s’intéresse par hasard à son projet, « Les Principes essentiels de l’existence universelle », et veut que sa femme, Jess, en soit l’héroïne. Toutefois, le destin, capricieux, impose ses propres règles.
Critique du film
Il y a parfois des œuvres qu’on attend, puis qu’on regarde, et qu’on aurait préféré continuer à attendre. Mektoub my love – Canto Due, ultime volet d’un triptyque devenu légende malgré lui, s’ouvre comme un mirage : six ans après l’objet trouble Intermezzo, et les polémiques qu’il a charriées, Kechiche revient pour clore sa saga. Il ressuscite ses héros de plage, de cuisine, de désir… Mais ce qui devait ressembler à une boucle se refermant avec grâce a tout d’un exercice de style tiède et désabusé.
Quelques semaines ont passé pour les personnages, huit années pour nous. Et dès les premières scènes, un malaise s’installe : Amin (Shaïn Boumedine), double évident du cinéaste, devient le centre d’un récit qui n’en est plus un. Il filme, regarde, mange, écoute, s’épuise. Autour de lui, des femmes qui s’agitent, le désirent et s’effacent. Des mères en cuisine, des amantes dans le flou, des actrices au ventre vide ou plein, mais rarement, sinon jamais, sujettes de leur propre histoire.

Qu’on se le dise : il semble se passer des choses et pourtant il ne se passe finalement pas grand chose dans ce Canto Due. Le temps s’étire et les dialogues flottent. Ce serait un choix esthétique, si le geste n’était pas aussi vain. À quoi bon filmer le vide quand ce vide ne raconte plus rien ? Là où Mektoub my love : Canto Uno tenait sur le fil d’un été, d’un désir, d’une tension latente, ce second volet se dissout dans l’auto-contemplation. Kechiche semble fatigué de ses personnages, ou peut-être est-ce eux qui sont fatigués de lui. Amin devient un masque, un alibi ; et derrière lui, le cinéaste s’exhibe plus qu’il ne se raconte.
Le retour du male gaze, vidé de sa subversion
Certes, on retrouve quelques belles scènes : une rencontre sur la plage, une scène de danse, comme un écho fané au passé glorieux. Mais tout semble tiède. Et lorsqu’Ophélie (Ophélie Bau) organise un voyage à Paris pour avorter, c’est presque à notre place qu’elle semble le faire : comme si, nous aussi, nous rêvions de fuir cette atmosphère où le réel n’a plus prise.

On pourrait croire que Kechiche cherche à se racheter. Exit la scène de sexe oral supposément interminable d’Intermezzo et les longues errances en boîte de nuit. Mektoub My love : Canto Due semble vouloir jouer la carte de la rédemption : structure plus classique, scènes plus sobres, durée resserrée. Mais c’est un leurre. Car si le regard sur les corps féminins se veut moins frontal, il n’en est pas moins appuyé, fétichisé, réducteur. Les femmes parlent, oui, mais pour séduire, tromper, trahir, pleurer. La starlette américaine (la très convaincante Jessica Pennington) est instable, Ophélie est vaniteuse, la mère est dévouée, et aucune ne semble exister au-delà d’un prisme masculin.
Une rédemption manquée
Dans un monde idéal, ce film aurait pu être une réponse. Une manière de réécrire l’histoire, de remettre du sens là où le scandale avait tout emporté. Mais Canto Due ne fait que détourner le regard. Il avance masqué, comme s’il pouvait faire oublier Intermezzo, comme si les accusations envers Kechiche, les absences de consentement et les blessures infligées à ses actrices, pouvaient être effacées par quelques dialogues improvisés et un regard naturaliste. Et pourtant, tout le monde ira. Les cinéphiles se pressent, les festivals rouvrent les bras, on parle de miracle, de film perdu retrouvé. Le fantasme d’un cinéaste maudit, génial et incompris. La même histoire qu’on nous vend depuis trop longtemps. Mais on est en 2025. Et on en a marre des réalisateurs fous au service de leur art, des hommes qui se rêvent démiurges et qui font passer leurs obsessions pour du génie. C’est peut-être ça, le vrai sujet du film : non pas le mektoub, mais la persistance du mythe. Celui d’un auteur qui ne doute jamais, même quand il devrait.
Bande-annonce
3 décembre 2025 -D’Abdellatif Kechiche






