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1 ANNÉE, 1 FILM | L’année 1999

Explorer l’histoire du cinéma par fragments, au gré des années et des hasards. Avec 1 année, 1 film, la rédaction du Bleu du Miroir se prête à un jeu cinéphile : choisir chaque semaine une année différente — aléatoire — et y associer un film. Classique indémodable, pépite oubliée, œuvre culte ou curiosité méconnue : une manière de raconter le cinéma autrement, à travers les ellipses du temps. Cette semaine, l’année 1999.


L’Anglais

L'anglais

La reco’ de Victor

Plus méconnu au sein de sa filmographie assez dense, L’Anglais est un joyau assez caché de l’œuvre de Steven Soderbergh. Il prend ici le postulat classique du revenge movie, puisque nous suivons la trajectoire de Wilson : homme tout juste sorti de prison parcourant les rues de Los Angeles pour retrouver le meurtrier de sa fille. Sauf que, sans jamais dénaturer les codifications du genre, Soderbergh va signer un film étonnant., où le montage de cette quête vengeresse se montrera plus mental que linéaire. Il faut se laisser happer par cette narration étrange, brouillant les pistes spatio-temporelles, mais qui hypnotise par la photographie stylisée de Los Angeles et la performance de Terrence Stamp. – VVdK

Le projet Blair Witch

Blair witch

La reco’ d’Emilien

The Blair Witch Project fait partie de ces films énormément vus à l’époque de leur sortie, commentés, parfois détournés et moqués… Mais nous pouvons peut-être, au terme de sa vie médiatique, le détacher de son succès viral (l’un des premiers sur internet) et des productions horrifiques bas-de-gamme qui se sont jetées dans son sillage, pour lui accorder son plus grand mérite : celui d’incarner des peurs primales dans ses images et dans le rapport que le spectateur entretiennent avec elles. Le carton introductif l’annonce clairement : les bandes vidéo qui vont suivre sont des images rapportées, supposément retrouvées un an après la disparition de trois étudiants venus tourner un documentaire dans une forêt du Maryland. Les images sont présentées comme document du passé, qui viennent attester le factuel de l’événement, tout en le restituant au temps présent : la vidéo permet de dérouler le lent calvaire des étudiants devant nous, avec nous, en resserrant le dispositif jusqu’à le rendre le cadre suffocant, et le hors-champ, insoutenable. La peur de la forêt, d’être perdu, d’être traqué, se déploie en continu pour les personnages, jusqu’à ce point de rupture où ce qu’ils filment change de statut : ils n’enregistrent plus des images pour leur projet de documentaire, mais en pensant à l’avenir, à « l’après », car dans leur grand dénuement, frigorifiés, terrorisés, ils prennent conscience qu’ils doivent laisser quelque chose qui leur survivra. Y a-t-il plus grande horreur que de devoir documenter sa propre disparition ? – EP

Tout sur ma mère

tout sur ma mère

En 1999, Pedro Almodóvar ne repartait du Festival de Cannes qu’avec le prix de la mise en scène alors même que tout le monde voyait Tout sur ma mère remporter la Palme d’Or, qui sera finalement attribuée à Rosetta. Avec un quart de siècle de recul, le regret est d’autant plus grand quand on sait que les frères Dardenne seront couronnés d’une seconde Palme quelques années plus tard avec le bien meilleur L’Enfant et que l’on peut clairement dire aujourd’hui que Tout sur ma mère était un film en avance sur son temps. Le revoir aujourd’hui, c’est constater combien Almodóvar y a filmé les femmes, toutes les femmes (cisgenres, transgenres, homosexuelles, bonnes sœurs, mères célibataires…), avec un regard rare pour l’époque, empreint d’une immense bienveillance et de la plus grande tolérance. Le plus bel exemple est probablement cette scène où une femme transgenre porte son enfant biologique dans les bras, un geste politique alors d’une très grande force. Ce qu’il y a d’encore plus fort c’est que, fidèle à lui-même, Almodóvar ne rend jamais son film grave alors même qu’il traite de sujets qui le sont (fléau du VIH, prostitution, trouble de l’usage des substances…). Si le film porte tous les codes du mélo, en racontant l’histoire d’une mère qui, suite à la mort accidentelle de son fils, retourne vers le passé qu’elle avait quitté à la naissance de son enfant, c’est pour mieux les détourner et porter un véritable message d’espoir. Un message dont on a encore besoin aujourd’hui… – FG

Juha

Juha

La reco’ de François-Xavier

En pleine dépression, Aki Kaurismäki décide, en 1998, de rendre hommage, à sa manière, aux origines du cinéma. Juha sera, de fait, le dernier film muet en noir & blanc du XXe siècle dans un geste qui, à l’époque, pouvait être interprété comme les adieux du cinéaste finlandais au 7e art. Le film est à la fois référentiel et personnel, on y retrouve, à travers les clins d’oeil à Murnau, Stroheim, Chaplin ou Alice Guy, tout le monde kaurismäkien (les belles voitures, les chiens, la cruauté et l’empathie et la présence lumineuse de Kati Outinen) dans cette adaptation d’un roman finlandais de 1911. L’histoire, similaire à l’Angèle de Pagnol, oppose une forme de pureté paysanne au vice des villes. On y entend aussi une mère maquerelle chanter, en français, Le Temps des cerises. Chez Kaurismäki, l’espoir est contenu dans le désespoir. Tout est affaire de retenue. – FXT

Sennen tabito

Sennen tabito

La reco’ de Théo

Qu’il s’agisse des hommes ou des objets, toute chose à la dérive finit immanquablement par s’échouer sur la grève. Elles y trouvent alors une nouvelle place, faisant désormais partie d’un paysage où elles auront bel et bien une place. Sennen-Tabito se fiche bien du temps, préférant se concentrer sur des personnages cassés (parfois au sens littéral), tous complètement perdus. Le lointain bruit des vagues s’écrasant sur la plage ramènent les trois protagonistes au même endroit, un lieu où les liens se font, se défont et se reforment encore. D’une mélancolie rare, le long-métrage très confidentiel de Jinsei Tsuji capture merveilleusement bien un certain moment « d’apesanteur », durant lequel les jours ne comptent plus. La notion du temps s’effrite et seule reste une étrange pause, où tout semble possible. – TK

Belles à mourir

belles à mourir

La reco’ de Simon

Le concours de beauté de Mount Rose, une ville américaine imaginaire, est pour ses jeunes candidates l’occasion de quitter leur trou paumé et d’accomplir un grand destin. Ça c’est sur le papier. Belles à mourir, film d’une incroyable cruauté, vient juxtaposer à la confession d’une jeune fille rêvant de devenir comédienne une vidéo d’archive où une ancienne lauréate explique que sans le concours elle n’aurait pas pu devenir comédienne. Excepté que petite désillusion, aucune carrière au cinéma chez elle, mais un premier rôle dans une pub totalement kitsch de marque de viande de porcs. Son éloge de la marque se conclut ainsi :« j’aime tellement leurs produits que je travaille chez eux désormais ». Son costume change et la voilà habillée d’une combinaison d’ouvrières d’abattoirs. Ce documenteur à l’humour acerbe est une satire au vitriol de la médiocrité américaine et du patriarcat. Malgré sa cruauté, le script écrit par Lona Williams, ayant elle-même participé à ces concours de beauté quand elle était enfant, offre au personnage campé par Kirsten Dunst et ses proches une grande sympathie qui soustrait le film à ce qui aurait pu être une overdose de cynisme. – SB

Galaxy quest

Galaxy quest

La reco’ de Tanguy

Les franchises hollywoodiennes sont bien mornes ces dernières années, et leurs fanbases encore plus. La magie de la découverte des blockbusters disparut au profit d’une guerre de clans idéologique, évidée du charme enfantin du visionnage en salles. Il suffit de voir les batailles non-sensiques sur le nouveau Superman de James Gunn pour s’apercevoir que tout a bien déraillé dans les débats sur la pop-culture américaine. En ces temps troubles, voir ou revoir Galaxy Quest s’avère important. Galaxy Quest est une lettre d’amour aux geeks et démontre que les grandes histoires des films à gros budget s’écrivent dans un mouvement amoureux commun, entre fans et exécutifs. Si tout laisse croire à première vue à une caricature malsaine et peu bienveillante des séries SF des années 1980, le film de Dean Parisot déjoue vite les pronostics grâce à ses dynamiques de personnages jamais bêtes (les extra-terrestres Thermians sont de formidables personnages de cinéma, aussi touchants que créatifs) ainsi qu’à une structure narrative plus proche du pastiche que de la parodie. On s’amuse, on rit, on est parfois émus par la proposition qui rappelle l’émoi des premiers souvenirs de grands spectacles en salles. Combien de films à gros budget de ces cinq dernières années peuvent en dire autant ?

La momie

La momie

La reco’ d’Antoine

Souvent relégué au statut d’ersatz sympathique d’Indiana Jones, La Momie de Stephen Sommers s’impose pourtant, plus de 25 ans après sa sortie, comme un divertissement de haute volée, d’une redoutable efficacité. Bien plus qu’une simple resucée des aventures du célèbre archéologue — même si certaines scènes le citent qu’explicitement — le film porté par Brendan Fraser et Rachel Weisz puise plus largement dans l’esthétique et le ton des comics pulp des années 50, avec un soin du détail visible à chaque niveau de sa fabrication. Les scènes d’action, impeccablement découpées et chorégraphiées, s’enchaînent à un rythme stimulant, soutenues par une direction artistique flamboyante. L’humour british confère au film une vraie identité, renforcée par l’évidente alchimie du casting qui contribue largement à la réussite de l’ensemble. Destiné à un public familial, La Momie n’hésite pourtant pas à flirter avec une imagerie horrifique étonnamment graphique pour ce type de production hollywoodienne (qui a oublié le sort réservé au gardien de prison ?), au point d’avoir marqué au fer rouge l’auteur de ces lignes, lorsqu’il découvrit ce film en salle… à 8 ans ! – AR

Cookie’s fortune

Cookie's fortune

La reco’ de Matthieu

Le suicide de Cookie, riche femme très appréciée de ses voisins, ébranle toute la petite communauté de Holy Springs, dans le Mississipi. Quand ses deux nièces décident de faire passer le suicide pour un meurtre afin de toucher un héritage plus important, les suspicions partent dans tous les sens jusqu’à ce qu’un innocent soit visé. Moins risqué que sa représentation du monde de la mode parisienne, Prêt-à-porter, sa précédente comédie qui fut un échec cuisant lors de sa sortie, Cookie’s Fortune marque donc un retour en grande forme dans ce registre pour son auteur, qui aura testé tous les principaux genres de cinéma (à part la SF). Avec sa galerie de personnages hauts en couleur, Cookie’s Fortune porte bien la patte de son réalisateur, qui explore une nouvelle fois un écosystème composé d’une grande galerie de personnages dont Altman s’amuse à explorer tous les travers. Sans partager la même ambition que d’autres de ses sommets, comme Gosford Park, 3 Femmes, Le Privé ou encore Nashville, Cookie’s Fortune n’en est pas moins un petit bijou captivant et drolatique. Porté par un casting bigarré et des personnages excentriques ou touchants, Cookie’s Fortune questionne avec un humour cinglant les arrangements avec la morale que l’on est prêt à faire pour améliorer sa condition. – MT

But I’m a cheerleader

But I'm a cheerleader

La reco’ de Sam

Mal reçu à sa sortie mais devenu un film culte depuis, préfigurant une représentation LGBTQ+ plus riche et assumée aujourd’hui, But I’m a Cheerleader était en avance sur son temps par son ton irrévérencieux, son esthétique camp et son regard queer joyeux et libérateur. Alors que les récits de l’époque étaient et demeurent souvent dramatiques ou tragiques, Jamie Babbit signe une comédie satirique qui tourne en ridicule les thérapies de conversion en exagérant les normes de genre et les injonctions à la féminité et au virilisme jusqu’à l’absurde. Avec son héroïne lesbienne en quête d’émancipation, une love story heureuse et un regard féministe assumé, le film offrait une représentation rare, audacieuse et résolument positive qui fait toujours autant de bien aujourd’hui. – SN