A BRIGHTER SUMMER DAY
L’histoire dans les annees 60 de Xiao Si’r, jeune adolescent, fils d’un refugie politique chinois qui vit a Taiwan. Comme tous les jeunes gens de sa condition il frequente les gangs qui se menent une guerre sans merci.
Critique du film
Cycle Hello Summer ☀️
S’il y a bien un moment pour regarder ce monument qu’est A Brighter Summer Day, c’est durant les grandes vacances. Pourquoi ne pas s’extraire de cette température étouffante pendant quatre heures et assister à une virtuose leçon de cinéma ? En revanche, il est moins probable que ce film-monument, d’ailleurs plus enrichissant que divertissant, d’où l’utilisation du mot « leçon », permette de faire abstraction du climat politique et géopolitique actuel incertain, tant Yang s’appuie justement sur l’atmosphère violente et instable qui régnait dans le Taiwan des années 60.
Ces dissensions, pourtant très fortes, ne sont jamais documentées frontalement. Le réel est retranscrit par le fictif via des microcosmes incarnés par des lieux (l’école, le foyer familial, la salle de concert) ou par les personnages (les jeunes, les professeurs). Edward Yang n’opère pas une superposition rigoureuse d’une idée bien précise sur le vivant, il explique les mouvements du vivant face aux forces contraignantes de l’environnement. Le film ne se place jamais au-dessus du vivant tel un œil omniscient. Chez Yang, le film-monument n’a pas vocation à être plus grand que nature, mais à s’en rapprocher le plus possible, à cerner toute sa complexité et à arpenter tous ses recoins. Dans une interview accordée aux Inrockuptibles en 2001, le cinéaste avait précisé ce qui représentait probablement toute l’essence de son cinéma : « rendre les gens plus conscients de leur propre situation, les aider à ne pas subir les choses comme des robots ».

Le film suit principalement Xiao Si’r, élève modèle, qui va voir sa vie emprunter progressivement une direction bien différente de celle souhaitée par son père. Au contact des Little Park Boys, un gang de jeunes, l’adolescent va être entraîné dans des situations de plus en plus précaires. Sa rivalité avec la bande rivale, les 217, représente à une échelle réduite les tensions entre les exilés de la Chine continentale et les natifs de Taïwan. Occuper l’espace, démontrer sa force, exclure l’autre du territoire revendiqué, les jeunes malfrats partagent les mêmes enjeux que leurs aînés militaires. Dans la première scène d’affrontement, les jeunes s’engouffrent dans les escaliers et couloirs sombres de l’édifice. Le lieu n’a rien d’imposant architecturalement. Il devient menaçant parce que le cinéaste refuse de le saisir en un seul plan fixe. La caméra est alors obligée de le parcourir verticalement et horizontalement pour y déceler toute la violence qui s’agite en son sein, entre ces couloirs et escaliers sombres dans lesquels les adolescents se sont engouffrés.
La situation taïwanaise bouillonnante des années 60, trouve son écho dans la confusion existentielle de Si’r. Traversant vivement ses émois pour Ming, son désir de s’affirmer en tant qu’individu et sa perte de repères dans un monde chahuté de toutes parts, son parcours conjugue à la fois cette intensité des émotions propre à la jeunesse et une certaine mélancolie. Certes, dans le chaos, Si’r doit parfois s’armer de sa lampe torche pour se repérer dans le noir, mais d’autres fois les cadres lorgnent avec une lumière presque éthérée qui donne l’impression que le présent appartient déjà au passé.
Cette nostalgie qui imbibe l’œuvre d’Edward Yang, cinéaste du désarroi moderne, s’explique aussi par cette observation un peu crépusculaire de la dilution de la culture taïwanaise, remplacée ou en tout cas menacée par la culture américaine. L’américanisation de la société n’est pas perçue exclusivement de manière négative. Le personnage de Cat, un très jeune garçon qui adore chanter des chansons d’Elvis en anglais, trouve dans le King une rambarde pour ne pas sombrer dans l’univers des gangs. À l’inverse, la batte de baseball est détournée, davantage utilisée pour faire saigner des bouches que renvoyer les balles. Comme souvent dans la filmographie d’Edward, il n’y a pas de Yin sans Yang.






