1 ANNÉE, 1 FILM | L’année 1988
EXPLORER L’HISTOIRE DU CINÉMA PAR FRAGMENTS, AU GRÉ DES ANNÉES ET DES HASARDS. AVEC 1 ANNÉE, 1 FILM, LA RÉDACTION DU BLEU DU MIROIR SE PRÊTE À UN JEU CINÉPHILE : CHOISIR CHAQUE SEMAINE UNE ANNÉE DIFFÉRENTE — ALÉATOIRE — ET Y ASSOCIER UN FILM. CLASSIQUE INDÉMODABLE, PÉPITE OUBLIÉE, ŒUVRE CULTE OU CURIOSITÉ MÉCONNUE : UNE MANIÈRE DE RACONTER LE CINÉMA AUTREMENT, À TRAVERS LES ELLIPSES DU TEMPS. CETTE SEMAINE, L’ANNÉE 1988.
La comédie du travail

La reco’ d’Emilien
Critique et cinéaste de la génération de la Nouvelle Vague, Luc Moullet a toujours une position distante vis-à-vis du noyau dur de la bande : celle du pirate, du court-circuiteur. L’esprit Moullet, déjà bien visible dans ses textes critiques, agit dans ses films comme un catalyseur qui souvent révèle l’absurde d’une situation, d’un comportement, voire même d’un système tout entier. La Comédie du travail nous invite à suivre trois personnages aux trajectoires complémentaires : une conseillère emploi particulièrement efficace qui trouve du travail à tout le monde, un chômeur professionnel expert dans de nombreuses combines, et un employé sérieux et docile qui perd subitement son poste. Chacun, à sa manière, mène ses démarches dans un excès de zèle qui finira par lui causer du tort, et qui dessine, l’air de rien, une organisation profondément infantilisante, à laquelle les individus ne peuvent répondre que par des enfantillages : disputes pour savoir qui est dans la bonne file d’attente à l’ANPE, stratégies pour faire passer des messages sans se faire prendre, ou encore déguisements pour pointer à l’accueil à la place d’un autre. Moullet s’amuse ainsi à l’échelle des concernés de l’administration française et du rapport au travail dans la société, en veillant tout de même à y rattacher un regard plus global, que ce soit au nom de l’humour (la scène d’attentat sortant de nulle part pour empêcher la conseillère de trop bien faire son travail) ou bien pour parler du rapport de force et la mise en jeu du corps inhérents au monde professionnel (l’ouvrier de la voirie qui meurt en poste, enterré par un mouvement de pelle identique à celui qu’il effectuait en creusant la chaussée). On en rit jusqu’au bout, mais le film nous laisse avec le constat que, quarante ans plus tard, les différents pouvoirs en place n’ont fait que maintenir la dureté du système. Ce qui ne changera, peut-être, que lorsque chacun sera devenu contrebandier à sa manière. – EP
Fréquence meurtre
La reco’ d’Antoine
Unique incursion au cinéma de la réalisatrice Élisabeth Rappeneau (sœur de Jean-Paul, qui se consacrera ensuite exclusivement aux téléfilms), Fréquence meurtre fait partie de ces œuvres vouées à tomber presque instantanément dans l’oubli, trop marquées par les codes esthétiques de leur époque de production. Pourtant, ce thriller sur fond de harcèlement téléphonique se distingue à bien des égards de la production hexagonale des années 80. En adaptant, avec l’aide d’un certain Jacques Audiard, le roman When the Dark Man Calls de Stuart M. Kaminsky, Rappeneau signait un thriller psychologique dans la plus pure tradition américaine, dans la lignée de Terreur sur la ligne (Fred Walton, 1979) ou de Meurtre au 43ème étage (John Carpenter, 1978). Et il faut bien reconnaître que l’ambiance poisseuse et oppressante fonctionne souvent. Le malaise est palpable lorsque Jeanne (interprétée par une Catherine Deneuve investie), psychiatre le jour et animatrice radio la nuit, reçoit à l’antenne la voix troublante d’un inconnu qui la replonge dans ses traumatismes d’enfance. Le film n’ose jamais franchement assumer l’esthétique giallo à laquelle il semble pourtant faire un appel du pied à deux ou trois reprises. En revanche, il reste une curiosité attachante, portée par l’ambition affichée d’infuser au polar français une noirceur qu’il n’a jamais vraiment retenté depuis (à l’exception peut-être du récent et excellent Rapaces). Et puis, avouons-le, rien que pour le plaisir de voir Catherine Deneuve animer une émission nocturne sur Skyrock, l’expérience vaut le détour. – AR
Empire du soleil

La reco’ de Fabien
Indiana Jones, E.T., La Couleur pourpre, tous les films de Spielberg sortis dans les années 80 sont passés à la postérité. Tous, sauf un. Empire du soleil, échec au box-office à sa sortie, fait partie des films aujourd’hui quasi oubliés du cinéaste. Et c’est une erreur car cette fresque au cœur de la Chine de la Seconde Guerre mondiale occupée par les japonais, vue à travers les yeux d’un enfant britannique ayant grandi à Shanghai, n’a rien à envier aux autres titres cités précédemment. Premier tournage américain autorisé dans la ville chinoise depuis les années 40, avec des milliers de figurants, Spielberg a fait preuve d’une grande ambition pour recréer la réalité historique de l’époque et a su user de tout son savoir-faire pour créer des séquences spectaculaires mémorables. Mais ce qui marque sûrement le plus dans Empire du soleil c’est le regard candide de l’enfant au milieu de cette guerre. Spielberg sait filmer l’enfance, il l’a montré plus d’une fois et le prouve ici encore, bien épaulé il est vrai par un alors tout jeune Christian Bale, absolument époustouflant pour son âge. – FG
The pass

La reco’ de Théo
Vladimir Tarasov est en quelque sorte le René Laloux méconnu de l’union soviétique. Animateur chevronné étant à l’origine d’une myriade de courts-métrages de science-fiction, son ouvrage a peu perduré dans le temps malgré sa singularité surréaliste. The Pass est probablement son œuvre la plus complète, véritable plongée dans un cyber-espace apocalyptique. L’animation est tantôt géométrique et parfois profondément psychédélique, donnant vie à une planète hallucinée où les reflets prennent formes. Mélange entre Stalker et Solaris, The Pass émerveille autant qu’il effraie, grâce à son cadre extraterrestre au sein duquel les humains doivent survivre contre un environnement insondable. Le voyage vaut encore le coup d’œil aujourd’hui, pour vivre une randonnée épileptique dans les paysages d’un imaginaire distordu. – TK
Y-a-t-il un flic pour sauver la Reine ?

La reco’ de Tanguy





