1 ANNÉE, 1 FILM | L’année 1964
Explorer l’histoire du cinéma par fragments, au gré des années et des hasards. Avec 1 année, 1 film, la rédaction du Bleu du Miroir se prête à un jeu cinéphile : choisir chaque semaine une année différente — aléatoire — et y associer un film. Classique indémodable, pépite oubliée, œuvre culte ou curiosité méconnue : une manière de raconter le cinéma autrement, à travers les ellipses du temps. Cette semaine, l’année 1964.
La peau douce

La reco’ de Fabien
Réalisé rapidement alors que la production de Fahrenheit 451 prenait du retard, La Peau douce est un film plus méconnu de François Truffaut. Échec critique et public, il n’est pas pour autant une œuvre mineure de son auteur. S’inspirant de faits divers mais aussi de sa propre vie, Truffaut y raconte l’histoire d’un homme, en apparence heureux dans son couple, mais qui entame une liaison extra-conjugale avec une jeune hôtesse de l’air. Si le thème peut sembler éculé, Truffaut arrive à lui donner un souffle rarement vu ailleurs. Bien que le réalisateur choisisse de centrer son récit du point de vue peu original de l’homme (entraînant par ailleurs quelques séquences dignes des années 70, qui ne passeraient très clairement plus aujourd’hui), il ne fait pas de son personnage principal un modèle de masculinité et garde une distance finalement assez objective permettant à chacun d’y apposer le regard critique qu’il souhaite. Il est souvent difficile de vraiment comprendre ce qui motive cet homme dans ses choix. Que se cache-t-il derrière le manque d’assurance de cet homme ? Une timidité dans un amour naissant et une peur de remettre en cause tout ce qu’il a construit jusqu’ici ? Ou alors la lâcheté de celui qui succombe à un désir mais sans vouloir perdre son statut d’homme respectable ? Truffaut construit par ailleurs son film comme un vrai polar, au départ avec simplement des scènes qui vont venir accentuer la tension dramatique, puis en le faisant totalement basculer dans sa dernière partie, lorsque l’homme se retrouve pris à son propre piège et que ce sont alors les femmes qui prennent le pouvoir. Porté par un parfait trio d’acteurs et d’actrices, La Peau douce est une œuvre bien plus complexe qu’elle ne peut le paraître au premier abord et qui mérite clairement d’être revue à sa juste valeur. – FG
Soy Cuba

La reco’ de Noam
Peut-on filmer la misère avec grâce ? Un corps affamé avec une volupté plastique ? Film soviéto-cubain de propagande tourné au lendemain de la révolution castriste, Soy Cuba propose une réponse ambiguë à ces questions. Car il est bien plus qu’un outil politique. D’abord conçu pour glorifier le nouveau régime, le film de Mikhaïl Kalatozov échappe à sa mission initiale pour devenir tout autre chose : un poème baroque, incandescent, viscéralement cinématographique. Réalisé en 1964, Soy Cuba se compose de quatre récits : quatre fragments d’une île en transition. Prostituées dans les cabarets de La Havane, paysans expropriés, étudiants insurgés, guérilleros dans la montagne. Une véritable fresque habitée. Grâce à l’œil miraculeux de Sergueï Ouroussevski, chef-opérateur déjà à l’œuvre sur Quand passent les cigognes, le film devient un opéra de travellings impossibles, de plongées vertigineuses, de visages en fièvre. Un ballet de lumière et de mouvement, où la caméra ne se contente pas d’enregistrer : elle flotte, traverse, s’élève, comme un esprit errant dans une île bouleversée. – ND
Journal d’une femme de chambre

La reco’ de FX
18 ans après « l’Américain » Jean Renoir, « le Français »Luis Buñuel adapte à son tour le célèbre roman d’Octave Mirbeau avec la complicité de Jean-Claude Carrière (qui interprète aussi le curé, conseiller conjugal à ses heures). Il choisit Jeanne Moreau pour incarner Célestine à qui la comédienne donne toute sa mystérieuse dignité. Célestine fait tourner les têtes du patriarche fétichiste, du Maître frustré (fabuleux Michel Piccoli) et de l’inquiétant palefrenier. La femme de chambre donne le change mais voit et comprend tout. Sa parole étant cependant délégitimée par sa condition, elle choisit comme échappatoire la destinée la moins dégueulasse. Buñuel condamne tour à tour les hommes, la bourgeoisie, l’antisémitisme et la montée du fascisme (il transpose le récit au début des années 30) dans un de ses films les plus féroces. – FXT
Le masque de la mort rouge

La reco’ de Théo
Le masque de la mort rouge est un immense morceau d’adaptation, l’horreur souvent très religieuse propre aux nouvelles d’Edgar Allan Poe prend ici une forme particulièrement marquante, celle d’une silhouette à la couleur uniforme, baignant constamment dans une lumière sanguinolente. Ses plans fixes sont des hommages perpétuels aux tableaux datant de l’ère médiévale ou de la Renaissance. De l’enfer de Dante par Delacroix, dont les strates maléfiques sont représentées avec grâce lors de quelques passages, aux œuvres de Pieter Brueghel, avec son Triomphe de la mort, œuvre reprise notamment dans les scènes où meurt les masses. La transposition à l’écran par Roger Corman suinte le macabre. Si le long-métrage n’est jamais aussi glaçant que Le Septième Sceau dont il s’inspire parfois ouvertement, il s’agit un film dont la putridité obsède, sa couleur écarlate omniprésente étant capable de donner un effet des plus morbide à travers l’écran. – TK
Cent-mille dollars au soleil

La reco’ de Tanguy
Un récit d’aventures en ligne droite peut cacher une multitude de trouvailles thématiques. Lorsque Henri Verneuil réalise Cent mille dollars au soleil, il transcende la poursuite de deux camionneurs en un récit post-colonial et en une lutte de classes. En effet, que font les deux pilotes blancs de 35 Tonnes dans le désert, si ce n’est leur travail quotidien ? Comment une importante somme d’argent peut ridiculiser un patron aux abois et transformer l’affection que deux employés se portent en une rancœur tenace ? Et comment deux petits salariés désargentés, transfuges de la métropole, peuvent conditionner malgré eux l’avenir politique d’un continent apeuré par l’Europe ? À ce script à tiroirs malin et toujours d’actualité s’ajoutent une photographie splendide de Marcel Grignon, qu’on retrouvera plus tard dans Fantomas de André Hunebelle ; une belle musique de Georges Delerue, mais surtout des dialogues toujours ciselés de Michel Audiard, dont la traditionnelle gouaille point grâce au personnage pétillant de Bernard Blier. Un film à découvrir ou redécouvrir en ces temps politiques troubles. – TB
Charade

La reco’ de Sam
Incontournable des années 60, Charade réunit l’élégance d’Audrey Hepburn, le charme ironique de Cary Grant et le suspense ludique d’un Hitchcock plus candide. Comédie romantique, thriller et film d’espionnage à la fois, ce classique signé Stanley Donen nous entraîne dans un jeu de dupes plein de style et de rebondissements, porté par des dialogues ciselés et une bande originale envoûtante. Dans un Paris glamour et mystérieux, Charade mêle humour et tension avec une légèreté jubilatoire. C’est le film idéal pour découvrir Audrey Hepburn dans un registre pétillant, drôle et intrépide — une porte d’entrée parfaite vers le cinéma hollywoodien de l’âge d’or. – SN



