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UN SOUPÇON D’AMOUR

Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète Andromaque de Racine, avec pour partenaire, son mari André. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle qui est aussi la maîtresse de son époux. Geneviève s’en va avec son fils malade dans son village natal. Elle semble fuir certaines réalités difficiles à admettre.

Critique du film

On n’arrête pas Paul Vecchiali. Nonagénaire depuis peu, le natif d’Ajaccio entame avec Un soupçon d’amour, dont il signe également le scénario et la production, la sixième décennie de sa (prolifique) carrière de réalisateur. Où il retrouve sa comédienne fétiche Marianne Basler (nomination au César du meilleur espoir féminin en 1985 pour son rôle dans Rosa la rose, fille publique), le film marquant à ce jour leur sixième collaboration.

«LA DOULEUR QUI SE TAIT N’EN EST QUE PLUS FUNESTE» (Andromaque, III, 3)

Cinéaste de l’amour sous toutes ses formes, Vecchiali convoque le thème maintes fois abordé, autant au cinéma qu’au théâtre, du triangle amoureux. L’intérêt de sa dialectique est ici davantage à trouver dans l’apparente complicité des deux femmes «antagonistes» (au sens commun du terme) qui, bien qu’elles convoitent le même homme, partagent de véritables scènes de communion. Celle de la danse incarne parfaitement cette dissonance : si elles partagent toutes deux le devant de la scène (littéralement), leur rapport contrasté à la féminité, par la simple couleur de leur robe (noire pour l’une, rouge pour l’autre) saute aux yeux. 

Le film, dédié à Douglas Sirk (Le Temps d’aimer et le temps de mourir, Tout ce que le ciel permet, Écrit sur du vent), reprend ainsi les codes du cinéaste américain, autant dans son esthétique (les couleurs chaudes sur les vêtements des protagonistes) que dans sa structure narrative, par le contraste entre un personnage tragique, à savoir Geneviève, et un autre au contraire stable émotionnellement, voire cynique dans le cas d’Isabelle.  

En arrière-plan de cette joute passionnelle, Un soupçon d’amour nous parle de résilience, de reconstruction après un drame intime et la manière dont celui-ci bouleverse les liens affectifs. Le film mériterait d’ailleurs un second visionnage à l’aune de cette trame, qui ne nous est révélée qu’à la dernière scène et qui donne finalement au long-métrage un sens plus subtil et profond qu’il n’y paraissait. Le lien avec l’Andromaque de Racine, qui traite conjointement d’amours impossibles et du poids des morts dans l’existence des vivants, devient alors limpide.

VECCHIALI OU LE CINÉMA À REBOURS

On sait Paul Vecchiali fervent opposant au cinéma naturaliste, très en vogue depuis le début du siècle – il suffit d’écouter le phrasé très théâtral, parfois jusqu’à l’apprêté, de ses acteurs pour s’en convaincre. En parallèle, sa caméra ne s’autorise que quelques mouvements, comme ce léger travelling avant qui, du salon de la maison, rejoint Geneviève et André sur la terrasse ensoleillée, alors que la femme annonce son désir d’abandonner son rôle dans Andromaque et de retourner dans son village natal : juste assez pour signifier que le film est avant tout celui d’une fuite en avant (en arrière ?).

Il ne s’agit pas là d’un objet cinématographique qui se laisse manipuler avec aisance : son montage sec et son écriture ténue laisseront bon nombre de spectateurs sur le côté, et il faut l’immense talent de Marianne Basler pour transmettre la véritable charge tragique que porte le film. Celui-ci ne cherche pas non plus à se montrer aimable ; d’ailleurs, Vecchiali n’a jamais eu le même succès public que d’autres réalisateurs de sa génération, son compère Jacques Demy en tête, ni le succès critique d’un Godard. Longtemps, il aura même peiné à faire sortir ses films en salles. Ainsi éloigné de toute préoccupation commerciale ou festivalière, sa volonté première est d’interpeller, à l’aide de stratagèmes toujours plus épurés, les curieux qui veulent partager avec lui, le temps d’une œuvre, ses intuitions et son goût de la diversion.

Le cinéaste prend plaisir à multiplier les références à des genres cinématographiques : la comédie musicale, le drame, la comédie sont ainsi convoqués au détour d’une scène, d’un plan. On sent, malgré une austérité de façade, un certain goût pour la liberté, pour le décalage permanent et le changement de ton qui viendraient exprimer une envie encore inassouvie de cinéaste. On peut ne pas s’y montrer sensible mais force est de constater qu’à 90 ans passés, cette flamme créatrice qui anime toujours Paul Vecchiali impose le respect. 

Bande-annonce

(à venir)

9 septembre 2020 – Réalisé par Paul Vecchiali, avec Fabienne BabeMarianne Basler




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