Les Évadés de l’espace 2

L’ÉTRANGE FESTIVAL 2024 | JOUR 10

Chaque année, le mois de septembre est synonyme de la fin des vacances et de la rentrée des classes, mais c’est aussi le mois préféré des férus de cinéma de genre, car il marque le retour du festival le plus passionnant de Paris : L’Étrange Festival ! Une édition 2024 d’autant plus particulière qu’elle correspond au 30ème anniversaire de cette manifestation. 30 ans… L’âge de la maturité ou l’âge de raison ? Pas vraiment l’idée que l’on se fait de ce festival, mais un bel âge assurément. Cela nous rappelle la place singulière de l’Étrange dans le paysage cinématographique et culturel français, et tout le chemin parcouru année après année, avec un succès toujours croissant et un public de fidèles qui ne cessent de grandir. Il faut dire que durant pas loin de 15 jours, l’Étrange offre un programme exceptionnel pour les amateurs de découvertes et de sensations fortes. Des avant-premières et des ressorties, des cartes blanches, des hommages, des ciné-concerts, des court-métrages, de l’horreur et du bizarre, de l’humour et de l’émotion… Bref, c’est l’Étrange Festival qui fête ses 30 ans, et c’est nous qui recevons les cadeaux !



JOUR 10

Déjà dix jours que l’Étrange Festival 2024 a débuté et on arrive dans la dernière ligne droite. Parmi les réjouissances de cette journée, notons la section “INA Fantastica 2” en partenariat avec l’INA et qui nous donne à voir de petits trésors cathodiques sortis des archives de l’institut en charge de conserver la mémoire audiovisuelle. Un épisode issu d’une mini-série fantastique de 1973, La Duchesse d’Avila, était projeté pour l’occasion.

Au coeur de l’après-midi, se tenait une autre séquence originale : “Gaumont, l’Étrange anthologie”. Partenaire régulier du festival, la société de production a ouvert ses archives pour permettre la réalisation d’un documentaire par Sylvain Perret (alias @1kult sur Twitter). Magie noire, happenings surréalistes, records du monde, évolution du féminisme, inventions oubliées et autres bizarreries étaient au programme de cette anthologie unique en son genre.

l'ile de kim ki-duk

Enfin, l’événement de ce jeudi était la soirée spéciale d’anniversaire pour les cinquante ans de la revue Métal Hurlant. Présentée par Jean-Pierre Dionnet, Étienne Robial, Lolita Couturier et Elene Usdin, cette soirée permettait de se replonger dans l’histoire de la revue culte qui a bouleversé le paysage de la SF en France mais aussi dans le monde. Avec des génies comme Moebius ou Philippe Druillet pour ne citer qu’eux, les différents artistes qui se sont succédés dans les pages de Métal Hurlant ont eu une influence inestimable sur des générations de lecteurs et d’artistes de la bande-dessiné ou du cinéma. 

À l’affiche de cette soirée anniversaire, plusieurs courts-métrages français d’animation, suivis par la projection du film L’Île de Kim Ki-duk. Ce film qui a fait découvrir le réalisateur sud-coréen en France avait d’ailleurs déjà été présenté en avant-première à l’Étrange Festival en 2000. Enfin, la nuit se terminait avec un film de science-fiction japonais, Les Évadés de l’espace de Kinji Fukasaku. Ce film sorti en 1978 était la réponse japonaise au phénomène Star Wars qui avait secoué le monde un an plus tôt. Doté du plus gros budget pour un film japonais à l’époque, avec l’immense Sonny Chiba dans le premier rôle, Les Évadés de l’espace reprend de nombreuses thématiques de la saga de George Lucas et a connu un succès colossal au Japon. Une soirée définitivement au croisement du métal et de l’étrange !

JOUR 9

Eye for an eye 2

EYE FOR AN EYE 2

Après la projection de Eye For an Eye hier, on retrouvait Cheng l’aveugle dans sa suite Eye For an Eye 2. Dans ce deuxième opus, notre héros sauve la jeune Xiao Yu pourchassée car elle a assisté à un massacre, mais il ne peut empêcher le meurtre de son petit frère. Xiao Yu n’a alors plus qu’une idée en tête, se venger et demande alors l’aide du chasseur de prime, mais ce dernier refuse de s’en mêler…

Dans cette suite, le réalisateur Yang Bingjia reprend les éléments qui ont fait la réussite du premier et les pousse un peu plus loin pour notre plus grand bonheur. L’hommage au western est encore plus marqué, que ce soit dans les compositions musicales où résonnent les guitares et les banjos, ou bien dans ces grands paysages de plaines sauvages avec leurs troupeaux de chevaux. De même, si le premier film était dur, celui-ci n’épargne personne, ni les femmes, ni les enfants, pas même les chiens ! Le monde de Eye for an Eye est sans pitié, et les affrontements également. Les chorégraphies montent d’un cran également avec quelques-unes des scènes de wu xia pian les plus impressionnantes depuis plusieurs années. 

Il est vraiment difficile d’imaginer qu’il ne s’agit que du troisième film de Yang Bingjia tant celui-ci témoigne d’une maîtrise de tous les aspects techniques de l’art cinématographique. Le film est tout simplement magnifique, bien au-dessus des standards des productions chinoises y compris parmi les plus gros budgets. Mais au-delà du formel, il en impose également dans sa narration. Ici, il convoque un schéma mythique du genre, celle du chevalier errant qui prend une enfant sous son aile. L’alchimie entre les deux est parfaite, aussi touchante que drôle, et donne une humanité et un supplément d’âme qui rendent Eye for an Eye 2 encore meilleur que le premier. Sans aucun doute, une des plus belles découvertes de l’année.

Sanatorium under the sign of the hourglass

SANATORIUM UNDER THE SIGN OF THE HOURGLASS

Un homme prend le train vers un sanatorium sans nom où son père vient de décéder. Le temps est aboli, les repères se brouillent à l’intérieur d’un univers à la fois étrange et familier.

Ce film des frères Quay était la séance d’ouverture de cette 30ème édition de l’Étrange Festival. Mélangeant animation et livre, Sanatorium… est une adaptation du deuxième et dernier recueil de nouvelles de l’auteur juif polonais Bruno Schulz, paru en 1937.

Mission quasi impossible que de décrire ce film qui tend autant vers l’expérimental que vers le conte fantasmagorique. Devant ces images, on sent que l’ensemble est porté par une poésie indéniable et une réflexion sur la métaphysique du temps, mais le résultat est difficile d’accès, et pour peu que l’on ne parvienne pas à se laisser embarquer dans ce voyage, celui-ci peut paraître un tantinet longuet.

Exhuma

EXHUMA

Énorme carton au box-office coréen de cette année, Exhuma était projeté en première française sur les écrans de l’Étrange. Dans ce film de Jang Jae-Hyeon, des chamans et un géomancien (interprété par Choi Min-sik) sont appelés par une riche famille dont un nouveau-né souffre d’un mal mystérieux. Leur enquête les conduit jusqu’à une tombe familiale qui recèle de lourds secrets et une grande menace…

Exhuma est en quelque sorte le troisième film de ce que l’on pourrait appeler “la trilogie des esprits” du réalisateur Jang Jae-Hyeon. Après The Priests (2015) qui représentait des possessions maléfiques, et Svaha: The Sitxh Finger (2019) sur une secte bouddhiste, il s’attaque cette fois-ci aux rites chamaniques et aux croyances occultes de la culture coréenne. Dans ce genre largement éculé des films d’esprits maléfiques et de possessions, il est rare de voir un film sortir du lot et se démarquer. C’est ce qui arrive avec Exhuma qui séduit d’emblée par son atmosphère singulière. La première partie est particulièrement réussie et parvient à faire monter la tension crescendo tout en nous faisant découvrir en détail la nature des rituels chamaniques et le fonctionnement des croyances.

Mais le film surprend totalement dans sa deuxième partie en empruntant un chemin inattendu et osé. Jang Jae-Hyeon fait preuve d’un certain courage en assumant une dimension horrifique totale et débridée dans des proportions que l’on ne voit pas souvent. Si cette bascule n’est pas exempte de quelques longueurs et de rebondissements pas toujours des plus convaincants, elle a le mérite d’être originale tout en invoquant les blessures du passé liées à l’occupation japonaise.

Escape from the 21st century

ESCAPE FROM THE 21st CENTURY

Dans la catégorie des films foutraques, sans queue ni tête et qui partent dans tous les sens, Escape from the 21st Century de Yang Li se pose là. Imaginez… En 1999, sur la planète K (qui ressemble à la Terre), trois ados tombent dans une eau contaminée par un mystérieux liquide qui leur donne la capacité de voyager vingt ans dans le futur à chaque fois qu’ils éternuent. Ils se retrouvent en 2019 dans leur corps d’adulte mais avec leur esprit d’ado. Ils découvrent qu’un immense complot menace la planète et font ainsi des va-et-vient entre les deux époques pour essayer de changer le futur…

Après ce pitch, soyez sûr d’une chose, c’est que le film n’a rien à voir avec ce que vous avez imaginé ! Son réalisateur, Yang Li, semble davantage intéressé par le mélange des genres que par le déroulé de son histoire. Comédie, Action, Drame, Animation, Science-Fiction, etc… Tout y passe et sans transition. Le résultat est donc à l’image de ce gloubi-boulga (pour reprendre cette expression d’un autre temps): parfois drôle, parfois cool, parfois émouvant… mais aussi, et malheureusement, souvent confus et niais. Mais, point positif, on ne s’ennuie pas… Il suffit juste de débrancher son cerveau pendant un peu plus d’1h30. Parfois, ça fait du bien.

JOUR 8

Cette huitième journée de l’Étrange Festival était placée sous le signe de la musique avec la tenue dans la grande salle 500 de la soirée “L’Étrange Musique”, un ciné-concert sous la direction de James G. Thirlwell. L’artiste Australien, connu sous le pseudonyme de Foetus, a mis en musique le film Heaven & Earth Magic de Harry Smith (1962), un film d’animation expérimental qui a inspiré notamment les célèbres génériques des Monty Python Flying Circus. Cette réorchestration était suivie de deux concerts (Larège et Ndox Électrique).

Parallèlement, en salle 300 du Forum des Images, se tenait un focus consacré au cinéaste italien, Mariano Baino. Considéré dans les années 90 comme le “porte-flambeau du cinéma de genre expressionniste”, artiste multimédia renommé, il réalise Dark Waters en 1994, un film d’horreur avec des nonnes et qui est depuis devenu un classique. Trente après, il revient enfin avec un nouveau film, Astrid’s Saints, sur une mère en deuil qui espère pouvoir faire revenir son fils grâce au pouvoir magique des saints. Les deux films étaient projetés consécutivement en présence du réalisateur. 

Plus tôt dans la journée, Eye For an Eye un film chinois de 2022 était présenté en avant-première.

Eye for an eye

EYE FOR AN EYE

Le wu xia pian, également connu comme “films de sabre”, est un genre ultra populaire dans le cinéma chinois et hongkongais qui a donné de nombreux classiques tels que A Touch of Zen de King Hu, La Rage du tigre de Chang Cheh ou Tigre et Dragon d’Ang Lee… On pourrait en citer beaucoup d’autres tant ce genre est riche depuis ses débuts dans les années 1920 jusqu’à son âge d’or dans les années 1960 à 1980 avec les productions de la Shaw Brothers. Très codifié, on y retrouve souvent des figures récurrentes comme celle du chevalier errant, œuvrant dans une opposition du bien contre le mal, soit par devoir, soit par désir. 

Venant s’ajouter à cette longue tradition cinématographique, Eye For an Eye est le premier film de Yang Bingjia. On y découvre l’histoire de Cheng Yi, un chasseur de prime aveugle qui vient en aide à la jeune Ni Yan, seule survivante d’un massacre le jour de ses fiançailles. Il met entre parenthèses sa vie de solitaire afin d’accomplir la vengeance qu’elle mérite.

Le mythe du sabreur aveugle est un classique du cinéma asiatique, immortalisé par la saga japonaise des Zatoïchi. Yang Bingjia le transpose en Chine et le revisite à la manière wu xia pian. A mi-chemin entre Tsui Hark et Sergio Leone, Eye For an Eye est un film de vengeance terriblement efficace. D’une durée de seulement 1h17, le film ne s’égare pas en sous-intrigues et dialogues futiles, ce qui ne l’empêche pas de prendre le temps qu’il faut pour présenter ses personnages et le contexte.

Difficile d’imaginer qu’il s’agit du premier film de son réalisateur tant la mise en scène apparaît maîtrisée et affirmée. Doté d’une photographie et de décors particulièrement soignés, des chorégraphies impressionnantes qui font la renommée du genre, le film ne manque pas de qualités. Et les quelques effets numériques de qualités médiocres n’y changent rien, il est impossible de s’ennuyer devant les prouesses martiales de ce héros aveugle que l’on reverra bientôt dans un deuxième épisode. Le film et sa suite seront disponibles en Blu-ray à partir du 28 novembre 2024 aux éditions Spectrum.

JOUR 7

On attaque la deuxième semaine de cet Étrange 2024 avec un revenge movie sanglant venu de Turquie et un conte révolutionnaire pornographique anglais. Tout un programme…

SAYARA

Femme de ménage dans une salle de sport d’Istanbul, Sayara est une jeune femme discrète dont la vie se résume à son travail, sa soeur et sa mère. Lorsque sa sœur est tuée par quatre hommes, Sayara décide de ranger les balais et serpillères pour se faire justice dans le sang… Beaucoup de sang !

Lorsqu’il a présenté son film avant la projection, le réalisateur turc Can Evrenol a prévenu les spectateurs qu’ils s’apprêtaient à voir l’un des films les plus violents et enragés de cette année. Alors si les critères en la matière sont assez hauts chez les spectateurs de l’Étrange Festival habitués à voir le sang couler dans des proportions parfois dantesques, Can Evrenol n’est pas loin de la vérité. En livrant une histoire relativement simple, le réalisateur peut se concentrer sur la thématique qui porte son film, la vengeance d’une femme.

Celle qui porte cette vengeance dans le film, c’est la comédienne Duygu Kocabiyik dont la métamorphose en cours d’histoire impressionne. D’abord timide et effacée, elle se révèle   toute en rage et colère quand vient le temps de faire payer ceux qui lui ont pris sa sœur. Sayara se démarque du tout venant dans la radicalité nihiliste de son héroïne qui n’hésite pas à éliminer tous ceux qu’elle croise sur son chemin punitif, qu’ils soient complices ou juste au mauvais endroit. À mesure que les os craquent, que les chairs se déchirent, la peur change de camp et envahit les bourreaux d’hier et leur impunité arrogante.

the visitor

THE VISITOR

Un réfugié d’un autre monde sort d’une valise déposée au bord de la Tamise et s’installe dans une famille bourgeoise ; il couche avec tous ses membres et les libère, métamorphosant une cellule patriarcale sclérosée en lupanar.

Ce synopsis officiel du film The Visitor, s’il décrit assez bien la trame narrative du film, est très loin de figurer ce qui attend le spectateur qui assistera à la projection. Pour en avoir une idée, le mieux est encore de connaître son réalisateur, le canadien Bruce LaBruce et sa filmographie. Voilà une trentaine d’années environ que celui-ci officie dans le milieu queercore et produit des films à mi-chemin entre l’expérimental et le pornographique. Ayant fait ses armes dans la scène punk homosexuelle, Bruce LaBruce en a gardé une morgue antisystème et un (mauvais) goût pour la provocation.

Avec The Visitor, le réalisateur nous offre une relecture du Théorème de Pasolini (1968) dans lequel un mystérieux personnage, connu sous le nom du “Visiteur”, débarquait dans la vie d’une famille de la grande bourgeoisie milanaise. L’énigmatique étranger exerçait une attraction telle sur chaque membre de cette famille qu’il finissait par coucher avec chacun d’eux, provoquant d’abord un épanouissement puis une prise de conscience de l’inauthenticité de leur vie. Le film de Bruce LaBruce suit ce récit à la lettre, reprenant même certaines mises en scène du film de Pasolini, et le transposant dans un univers queer, gender fluid, et sexuellement explicite.

Doté d’une photographie esthétisante et d’une bande son électro réellement tripante, The Visitor provoque des sentiments mitigés. D’un côté on est séduit par le style ou l’aspect subversif et parfois drôle de certaines séquences (comme lorsque le père “fait l’amour” au capitalisme dans une allégorie on ne peut plus limpide), mais de l’autre, on reste dubitatif devant certaines provocations puériles et un discours anti-système digne d’un ado rebel en mal de reconnaissance. 

JOUR 6

Sixième jour du festival, les programmateurs ont ouvert la journée avec le nouveau film d’animation de l’Australien Adam Elliot, quinze ans après son déchirant Mary and Max. Mémoire d’un escargot raconte l’histoire de Grace, passionnée par les escargots et la littérature, dont la vie vole en éclat le jour de la mort de son père. Dans sa famille d’accueil, séparée de son frère jumeau et maltraitée par ses camarades, elle s’enfonce dans le désespoir… On retrouve dans ce synopsis toute la noirceur et la mélancolie du réalisateur australien dans ce film qui a obtenu le Cristal d’or à Annecy. Toujours réalisé en pâtes à modeler et en stop motion, à coup sûr le film idéal pour évacuer le trop-plein lacrymal de votre progéniture.

En milieu d’après-midi, Fabrice du Welz, qui a présenté Maldoror ici-même vendredi soir, était de retour cette fois pour un documentaire qu’il a aussi réalisé et consacré à Béatrice Dalle : La Passion selon Béatrice. À mi-chemin entre documentaire et fiction, le réalisateur dresse un portrait de Béatrice Dalle avec laquelle il a justement travaillé sur Maldoror. L’occasion pour eux d’explorer leur passion commune pour le cinéma et la figure de Pier Paolo Pasolini. À la suite de ce documentaire, Fabrice du Welz et Béatrice Dalle présentaient justement la projection de L’évangile selon Saint-Matthieu de Pasolini. 

Enfin, pour terminer cette journée, Noémie Merlant achevait sa Carte Blanche avec la projection du classique horrifique de Wes Craven : La colline à des yeux (1977). L’histoire d’une famille d’Américains moyens partis se ressourcer en Californie mais qui va avoir la malchance de tomber sur une bande de cannibales dans le désert… Il y a des jours comme ça. Ce film craspec avait donné lieu à un excellent remake d’Alexandre Aja en 2006. Le film idéal pour s’assurer de beaux rêves et un sommeil réparateur avant d’attaquer la semaine !

JOUR 5

Pour ce premier samedi de festival, les programmateurs de l’Étrange ont eu la bonne idée d’inviter la comédienne et réalisatrice Noémie Merlant pour lui confier une Carte Blanche. Amatrice de films de genre et d’horreur, elle n’a pas fait les choses à moitié en choisissant des films qui ont tous suscité la polémique en leur temps, au point d’être interdits dans plusieurs pays. Pour la dernière séance du jour, Noémie Merlant nous propose de plonger dans l’univers totalement barré de Takashi Miike.

ICHI THE KILLER

Après Dead or Alive l’an passé, le japonais Takashi Miike reçoit encore les honneurs du festival avec l’un de ses films les plus déjantés, Ichi the Killer (2001). À la suite de la disparition d’un chef Yakuza, ses hommes essaient par tous les moyens de le retrouver. Son bras droit, le redoutable Kakihara, un personnage masochiste à la violence extrême, est persuadé que son chef a été enlevé et n’hésite pas à torturer tous ceux qu’il suspecte d’être impliqués. Mais les Yakuzas doivent composer avec un redoutable tueur à leurs trousses, Ichi, un garçon profondément timide, mais qui se transforme en machine à tuer sadique dès qu’il perd le contrôle.

Adapté d’un manga de Hideo Yamamoto, Ichi the Killer est un œuvre éminemment provocatrice. Déjà réputé pour sa tendance à l’exagération (euphémisme), le prolifique réalisateur japonais pousse tous les curseurs au max avec ce film, histoire de tester ses limite… et les nôtres ! Violence, gore, mauvais goût, peu de films sont allés aussi loin avec une telle jouissance. Il faut dire que le film oppose deux personnages absolument géniaux qui s’expriment dans le sang, les deux extrêmes du sado-masochisme et des pulsions humaines : Kakihara, un dandy sadique qui prend plaisir dans la douleur, et Ichi, un assassin fragile et manipulé, dont les crises émotionnelles déclenchent une violence incontrôlable et cathartique.

Ichi the Killer n’est clairement pas le genre de films que l’on recommande à tout le monde. Il est préférable que le spectateur ait une petite idée de ce qui l’attend, s’il n’a pas déjà une certaine appétence pour les films extrêmes. Mais si l’on parvient à encaisser les scènes de tortures particulièrement graphiques et douloureuses, on appréciera sans nul doute un film profondément drôle et jubilatoire. Avec son univers grotesque et surréaliste, saturé de couleurs, Miike crée un terrain de jeu idéal pour laisser s’exprimer sa mise en scène virevoltante et soignée. Car sous le chaos apparent, le japonais est un artisan au talent et au savoir-faire indéniable. 

Oui, derrière les personnages caricaturaux, derrière les geysers de sang et les membres volants, cette mise en scène volontairement outrancière contient une réflexion sous-jacente sur une société où la violence est devenue un mode de communication. Takashi Miike signe peut-être là son film le plus fou et le plus abouti de sa carrière, une œuvre subversive et dérangeante qui nous questionne sur la nature de la violence et l’effet qu’elle peut avoir sur ceux qui l’infligent ou la subissent. Attention : réservé aux audacieux à l’estomac bien accroché !

JOUR 4

GOLD BOY

Se promenant sur une plage d’une île japonaise, trois adolescents sont témoins d’un double meurtre qu’ils capturent par hasard avec leur caméra. Plutôt que de prévenir la police, ils décident de faire chanter l’auteur du crime pour lui extorquer de l’argent. SI le criminel ne compte pas se laisser manipuler ainsi, les trois adolescents ne sont peut-être pas aussi innocents qu’il n’y paraît.

Shûsuke Kaneko est un réalisateur prolifique au Japon avec une cinquantaine de films à son actif depuis les années 80. S’il a débuté en réalisant des films érotiques de la série Roman Porno pour la Nikkestu, il s’est fait connaître avec ses films de Kaiju comme la trilogie Gamera et une adaptation de Godzilla en 2001 (Godzilla, Mothra and King Ghidorah: Giant Monsters All-Out Attack) qui connurent un véritable succès populaire. Il est également derrière la première adaptation cinématographique du manga Death Note (2006) et de sa suite.

Avec Gold Boy, il signe l’adaptation d’un drama chinois qui joue avec les archétypes du genre, en opposant l’innocence supposé des adolescents à la froideur clinique d’un psychopathe. Là où le concept devient intéressant, c’est quand le film pervertit ces idées préconçues afin de nous tromper et nous révéler la noirceur qui se cache dans chaque individu. Si le jeu d’acteur n’y est pas des plus subtils et les rebondissements parfois un peu prévisibles, on s’amuse néanmoins devant ce jeu de dupes macabre entre le chat et les souris, en essayant de deviner qui du chat ou des souris est le plus sournois.

Duel à Monte-Carlo Del Norte

DUEL À MONTE-CARLO DEL NORTE

Pour qui aime l’irrévérence, les gags outranciers, et les délires visuels, la sortie d’un nouveau Bill Plympton est forcément un événement. Dessinateur de génie à l’imagination foisonnante, l’américain à qui l’on doit des bijoux tels que L’Impitoyable lune de miel ! (1997), Les Mutants de l’espace (2001) ou Hair High (2004), nous revient sept ans après son dernier film. Plympton est un artiste à part, au style inimitable, un véritable artisan du cartoon qui réalise toutes ses planches seul, à la main, avec son coup de crayon immédiatement reconnaissable. Autant dire que l’on est loin, très loin, d’un Disney ! Et c’est pour ça qu’on l’aime.

Coproduit pour partie avec la France, Duel à Monte-Carlo del Norte est le dixième long-métrage de Bill Plympton. L’occasion pour lui d’aborder un pan sacré de la culture américaine : le western. Il convoque les figures mythiques du genre, le cavalier solitaire, la prostituée au grand cœur, le maire corrompu, et y ajoute… un insecte géant (Oui, ça reste du Bill Plympton !). Cela commence avec l’affreux maire de la ville de Sourdough Creek qui décide de faire construire un barrage afin d’attirer dans sa région une société de production hollywoodienne, car celle-ci est à la recherche d’un lac pour son prochain film. Le maire oblige alors les habitants à raser la forêt pour construire ce barrage, lequel va inonder les maisons d’une partie de la population. Mais alors que tout espoir semble perdu, un mystérieux cow-boy et sa guitare arrivent à Sourdough Creek pour mener la résistance…

À mi-chemin entre Clint Eastwood et Mel Brooks, on retrouve dans ce western écologique les thèmes chers à l’auteur, ce vent de liberté, ce combat entre le bien et le mal, et surtout, cet humour dévastateur. Le dessin est un peu plus sombre que par le passé, le trait du crayon plus présent à l’image, mais la folie de l’artiste est toujours là, avec ses transitions étourdissantes, son sens du détail et des petites choses insignifiantes en apparence qui, à chaque fois, prennent des proportions folles et hillarantes. Rythmé par les musiques de Hank Bones, son compositeur fêtiche, il est impossible de deviner dans quelle direction l’imagination débordante de Bill Plympton va nous emmener. Mais une chose est certaine : le voyage va être fun.

MALDOROR

Fabrice du Welz et l’Étrange Festival, c’est une longue histoire. C’est en présentant ses premiers courts-métrages au sein du festival parisien qu’il se fait connaître à la fin des années 90. Depuis le festival l’a accompagné, présentant quasiment chacun de ses films en avant-première. Il était déjà là il y a trois ans pour Inexorable. Il n’est donc pas surprenant de le retrouver cette année encore devant le public de la salle 500 en compagnie d’une partie de ses actrices et acteurs pour nous présenter Maldoror, quelques jours seulement après l’avoir dévoilé à la Mostra de Venise où il était sélectionné hors-compétition.

Lire la critique complète du film.

JOUR 3

Au programme de ce troisième jour, deux réalisateurs français débutent leurs Cartes Blanches. Stéphane Castang (Vincent doit mourir) présente Le Monstre est vivant, un film d’horreur de 1971 signé Larry Cohen, tandis qu’Alexis Langlois (Les Reines du drame, 2024) a choisi The Doom Generation (1995) de Gregg Araki. L’évènement du jour est la Soirée avec Christophe Bier, le spécialiste en cinéma Bis et/ou pornographique, chroniqueur dans l’émission Mauvais Genre sur France Culture, et également acteur à ses heures perdues. Pour cette soirée, il a décidé de rendre hommage à “un des seconds couteaux les plus attachants du cinéma français”, l’acteur Jean-Claude Rémoleux. Deux comédies dont il partage l’affiche sont ainsi projetées : Chut ! de Jean-Pierre Mocky (1972) et Le Chant du départ de Pascal Aubier (1975).

the killing of america

THE KILLING OF AMERICA

Parallèlement à ces programmations, le documentaire The Killing of America de Sheldon Renan et Leonard Schrader (1981) était à l’honneur en milieu d’après-midi dans la grande salle 500. Entièrement composé d’images d’archives, le film s’ouvre avec un avertissement en préambule : “Toutes les images de ce film sont réelles”. Une mise en garde nécessaire afin de nous prévenir de ce qui nous attend.

Compilant les images chocs de reporters, de la police ou de particuliers sur une période de quasiment vingt ans allant du début des années 1960 à la fin des années 1970, ce film montre comment l’histoire des États-Unis a dévissé durant ces quelques années. The Killing of America est un documentaire édifiant sur le phénomène des tueries outre-Atlantique. Serial-Killers, tueurs de masse, snipers, assassinats politiques et Guerre du Viêt Nam… L’Amérique de cette époque a connu une violence multiple et sans précédent. Captées par les caméras, ces violences ont eu des répercussions terribles qui résonnent encore de nos jours.

Pour les réalisateurs, le point de bascule dans l’histoire américaine se produit le 22 novembre 1963 au Texas, avec l’assassinat de JFK. Son frère, Robert Kennedy, est lui assassiné durant la campagne présidentielle de 1968, Martin Luther King également la même année, sans oublier les tentatives sur le gouverneur et candidat George Wallace en 1972 ou sur le Président Ronald Reagan en 1981. Ces évènements ont bouleversé les résultats et retiré au peuple américain sa possibilité de choisir librement. Comme le dit la voix-off, “désormais, ce sont les tueurs qui déterminent la politique aux États-Unis”. Et visiblement rien a changé depuis comme l’a encore démontré la récente tentative d’assassinat contre Donald Trump en juillet.

Dans les années qui suivent l’assassinat de JFK, les nombres de meurtres et tentatives de meurtres explosent. Mais, phénomène nouveau, les victimes sont de plus en plus souvent frappées au hasard, sans raison apparente, si ce n’est d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Les cas de tueurs de masse et de serial killers augmentent aussi à partir des années 60 et 70.

La déshumanisation de la société américaine est telle que pour certaines personnes fragiles ou en détresse psychologique, la vie humaine n’a plus d’importance ou de valeur. Le meurte devient ainsi une manière d’exister, de laisser une trace. Des profils surprenants, de jeunes étudiants brillants, au QI élevé et à l’avenir prometteur, basculent dans l’horreur la plus terrifiante. Personne n’y échappe, hommes, femmes, blancs, noirs, politiciens, étudiants, riches, pauvres… même ceux qui portent des messages de paix, comme John Lennon, sont victimes de cette folie meurtrière.

Leonard Schrader, le réalisateur de ce documentaire, n’est autre que le frère du réalisateur Paul Schrader, qui fut également scénariste de Taxi Driver. Sorti cinq ans avant ce documentaire, on devine une filiation thématique et idéologique évidente entre les deux. The Killing of America est précisément ce que l’on attend de la sélection des “Pépites de l’Étrange Festival” : Nous faire découvrir des films méconnus ou rares, qui nous remuent, nous attrapent et nous travaillent les méninges durablement (comme le fait l’interview glaçante d’Ed Kemper, tueur en série arrêté dans les années 1970).

Avec son côté morbide, The Killing of America réveillent nos instincts primaires, et le voyeur en chacun de nous. Sa violence crue lui confère une étiquette « Mondo », comme ce genre de documentaires populaires dans les années 60 et 70 qui attiraient par leur aspect racoleur et sensationnaliste. Mais au-delà de la forme, le film nous questionne sur notre rapport à l’image ainsi que sur notre fascination pour le Mal et la violence. Définitivement pas pour les âmes sensibles !

late night with the devil

LATE NIGHT WITH THE DEVIL

Fruit du hasard… à moins que le diable se cache dans ce genre de détails, le film suivant s’ouvre sur des images d’archives des années 1970. On y aperçoit notamment le tueur en série Charles Manson. Les mêmes images que celles vues dans le documentaire précédent ! Late Night with the Devil est un thriller horrifique des australiens Cameron et Colin Cairnes.

Le film est ici présenté dans le cadre des “Découvertes Canal +” (partenaire de l’Étrange Festival), des séances gratuites en avant-premières. L’occasion unique de découvrir des films en salle avant leur diffusion prochaine sur la chaîne. Ayant bénéficié d’un excellent bouche à oreille outre-Atlantique, il est surprenant que ce film n’ait pas droit à une distribution en salle.

L’histoire est celle de Jack Delroy, animateur d’un Late Show dans l’Amérique des années 1970, qui cherche par tous les moyens à grimper dans l’audimat pour devenir le numéro 1. La particularité du film tient à son astucieux concept : un found footage montrant l’enregistrement live et les coulisses de la dernière émission de Jack Delroy, tournée le soir d’Halloween. Avec ses invités, spécialistes du surnaturel, il espère offrir des séquences sensationnelles pour attirer les téléspectateurs… Mais les évènements vont dépasser ses attentes !

Le film des frères Cairnes séduit d’emblée par sa réalisation minutieuse et le soin apporté aux détails de cette reconstitution d’un plateau TV à cette époque. L’humour calibré et typique de ces Late Show donne au film un aspect léger qui contrebalance avec la tension croissante à mesure que le surnaturel et la menace grandissent. Le film se moque aussi avec justesse des mises-en-scène et tromperies de ces émissions racoleuses, et de la course effrénée à l’audimat.

Enfin, il faut saluer l’ensemble du casting, tous étant vraiment excellents et pour beaucoup dans la réussite du film, avec au premier rang, David Dastmalchian. Généralement habitué aux seconds rôles, ce fidèle de Denis Villeneuve (Prisoners, Blade Runner 2049, Dune), également aperçu chez Christopher Nolan (The Dark Knight) ou dans le MCU (Ant-Man), trouve enfin un premier rôle à la mesure de son immense talent, avec cet animateur prêt à vendre son âme pour quelques pourcentages de part de marché en plus (Toute ressemblance avec un animateur actuelle de la TNT est purement fortuite !)

JOUR 2

Pour ce deuxième jour à l’Étrange, la programmation nous proposait un film d’animation fantastique sud-coréen Exorcism Chronicles : The Beginning, le très bon Blue Ruin de l’américain Jérémy Saulnier, découvert en 2013 et présenté ici dans le cadre de la Carte Blanche de Coralie Fargeat, ainsi que plusieurs films en compétition dont Swimming Home, un drame de l’anglais Justin Anderson, et La jeune femme à l’aiguille du suédois Magnus Von Horn et qui était déjà en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes. Notre choix s’est porté sur un thriller hongkongais et un film d’animation indien.

Peg o'my heart

PEG O’MY HEART

Commençons avec un film en compétition avec Peg O’My Heart de l’acteur et réalisateur hongkongais Nick Cheung. Le docteur Man, jeune médecin idéaliste, n’hésite pas à s’impliquer dans la vie de ses patients pour leur venir en aide malgré les remontrances de sa direction. Lorsqu’il croise le chemin d’un chauffeur de taxi qui souffre de troubles du sommeil, il remonte le fil de la vie de son patient afin de trouver dans son passé l’origine de ses cauchemars. Une recherche compliquée d’autant qu’il est lui-même sujet à des rêves troublants… 

Pour son quatrième film en tant que réalisateur, Nick Cheung, star du cinéma de Hong-kong et un des acteurs fétiches de Johnnie To (Breaking News, Election I & II), nous propose un thriller qui entremêle rêve et réalité. Si Peg O’My Heart recèle quelques bonnes idées et donne à voir des séquences de cauchemars particulièrement graphiques et saisissantes, il souffre cependant d’une narration trop alambiquée qui nuit au rythme du film.

Paradoxalement, ce thriller sur les cauchemars est bien ancré dans la réalité et il faut déterrer les cadavres du passé pour expliquer les terreurs nocturnes du présent. Nick Cheung donne à son film une dimension sociale et politique en soulignant les conséquences de la crise économique et des dérives boursières à Hong Kong sur la population. Comment trouver le sommeil quand notre passé et nos fautes nous hantent dès que l’on ferme les yeux ?

in lies we trust

SCHIRKOA: IN LIES WE TRUST

Curieux objet filmique que ce Schirkoa: In Lies We Trust du réalisateur indien Ishan Shukla. Ce film d’animation dystopique est tiré d’un court-métrage du même réalisateur qui fut également projeté à l’Étrange Festival en 2016. Dans la société de Schirkoa, une “solution” a été trouvée pour effacer toute différence entre les citoyens : Chacun d’eux sans exception doit porter en permanence un sac en papier sur la tête. Ainsi accoutré, impossible de distinguer les individus, à l’exception du numéro d’identification inscrit sur le sac. Mais cette société qui se veut idéale est sous la menace des “anomalies” et de légendes urbaines vantant un territoire mythique où les habitants vivent libres… et à visage découvert !

C’est sur la base de ce postulat pour le moins original et malin que Ishan Shukla nous propose un brûlot éminemment politique. L’occasion pour lui de dénoncer nos sociétés modernes qui tendent à gommer nos différences sous couvert de nous rendre tous égaux, au risque de détruire nos identités. Avec un ton constamment tragi-comique, Schirkoa: In Lies We Trust nous invite à suivre le parcours de 197A, un bureaucrate en manque de sens, qui combat sa dépression tout en essayant de savoir qui il est réellement. Des rencontres et ses multiples prises de consciences vont bousculer ses certitudes et lui apporter un nouveau regard sur les réalités du monde qui l’entoure.

Tourné en grande partie grâce à la motion capture et l’utilisation d’Unreal Engine, un moteur  graphique pour jeux vidéo, l’esthétique du film n’est pas des plus flamboyantes. Avec son style visuel qui pique parfois les yeux et se rapproche plus des Sims dans les années 2000 que du dernier Pixar, il faut un peu de temps pour apprivoiser la bête. Soyons francs, certaines séquences ne sont pas très heureuses visuellement et les limites techniques se font sentir. Mais l’intérêt du film réside avant tout dans sa réflexion sur la condition humaine. Face à l’oppression, même au plus mal, l’être humain trouvera toujours un sens à sa vie lui donnant l’envie de se battre et l’espoir de changer les choses. Mais que faire et comment vivre quand cet être humain souffre d’un mal terrible, sa liberté ?

Il aura fallu plus de six ans à Ishan Shukla pour terminer son long-métrage avec des moyens limités. Co-produit avec la France et l’Allemagne, le film offre également un panel de voix surprenant puisque parmi les doubleurs et doubleuses, nous retrouvons des artistes indiens comme le réalisateur Shekhar Kapur, les actrices Golshifteh Farahani et Asia Argento, le réalisateur Gaspar Noé, la chanteuse française Soko ou le réalisateur philippin Lav Diaz. Schirkoa: In Lies We Trust est prévu normalement dans nos salles d’ici la fin de l’année.

etrange festival 2024

JOUR 1 : OUVERTURE

Pour l’ouverture de cette 30ème édition, ce mardi 3 septembre, les programmateurs du festival, sans doute par un excès de générosité ou de sadisme, nous offrait un choix cornélien : devoir choisir entre le film d’ouverture de cette année, un conte expérimental signé des Frères Quay, Sanatorium Under the Sign of the Hourglass, et la projection du très rare Point Limite Zéro (1971) de Richard C. Sarafian. Présenté pour l’occasion par la réalisatrice française Coralie Fargeat dans le cadre de sa Carte Blanche, Point Limite Zéro fait partie de ces films cultes que l’on attend de découvrir dans les bonnes conditions. Et comme celles-ci étaient enfin réunies, c’est donc avec ce road movie de 1971 que nous avons inauguré cette nouvelle saison.

point limit zero

POINT LIMITE ZÉRO

Le film de Sarafian est étrangement peu connu eu égard à l’adoration que lui portent ceux qui l’ont vu. Cité comme l’un des films préférés de Steven Spielberg ou de Quentin Tarantino, ce dernier allant jusqu’à lui rendre hommage dans son film Boulevard de la Mort (2007), Point Limite Zéro n’est que très rarement projeté et il existe peu d’éditions physiques du film dans le monde. En résumé, tous les ingrédients pour faire un film culte ! Et devant le métrage, on comprend vite que ce statut n’est pas usurpé.

On y suit Kowalski, un chauffeur chargé de livrer des voitures pour une société. Sa prochaine mission : conduire une Dodge Challenger blanche de Denver à San Francisco, soit environ 2000 km à travers quatre états (Colorado, Utah, Nevada et Californie). Alors qu’il a trois jours pour effectuer sa tâche, il décide de l’accomplir en moitié moins de temps et en fait même le pari avec son dealer d’amphét’. Sans perdre une minute, le voici au volant de son bolide, déchirant les paysages du grand Est américain à toute allure. Forcément, une telle cadence ne passe pas inaperçue et rapidement, notre fou du volant se retrouve poursuivi par la police routière de chacun des états qu’il traverse, sans jamais relâcher la pression sur l’accélérateur.

Au cours de son périple dans les plaines arides, Kowalski se rappelle de son passé. Véréran de la Guerre du Vietnam, il est entré dans la Police avant de se faire virer pour avoir empêché son supérieur de violer une jeune femme. Reconverti dans les courses automobiles, il a tout plaqué après la disparition de celle qu’il aimait. Refusant les injonctions comme les barrières qui se dressent devant lui, Kowalski trace sa route et s’en tient à son idée, avec l’aide de quelques bonnes âmes rencontrées en chemin. Magnifiquement filmé malgré des moyens sans doute réduits, Point Limite Zéro est une ode à la liberté comme les années 70 savaient si bien nous en donner.

Kill

KILL

Pour poursuivre cette soirée d’inauguration, les amateurs de tatanes avaient rendez-vous dans la grande salle 500 du Forum des Images pour la première projection française de Kill de l’indien Nikhil Nagesh Bhat. Ne perdons pas de temps : Avec Kill, on est loin de Bollywood et de l’idée que l’on se fait du cinéma indien. Ceux qui imagineraient une bluette romantique en auraient pour leur frais, et quelques sessions chez le psy pour soigner leurs traumas ! Car si le film commence comme une simple histoire d’amour, très vite il prend un virage… saignant !

Passons vite sur l’histoire du film, celle-ci n’a rien d’originale et l’intérêt est ailleurs : Donc Amrit, un commando des forces spéciales indiennes veut empêcher le mariage arrangé de celle qu’il aime. Pour cela, il la suit dans le train pour New Delhi, et c’est là que tout va se compliquer pour notre héros puisque, pas de bol, c’est justement le train qu’ont choisi une horde de 40 voleurs pour détrousser les passagers. Après les quinze premières minutes bien kitchs qui nous rappellent que l’on est devant un film indien, Nikhil Nagesh Bhat nous fait comprendre que le voyage ne va pas être une partie de plaisir.

Enfermé dans ce huis-clos ferroviaire, Amrit va devoir se fader les 40 voyous un à un. S’en suit dès lors un déluge ininterrompu de coups à en faire frémir de douleur les plus durs à cuire ! Exploitant parfaitement l’environnement contigu des wagons, le réalisateur indien nous offre des séquences de bravoures vertigineuses qui rappellent à bien des égards la référence absolue du genre que sont The Raid I & II (2012 et 2014). Sans atteindre la maestria chorégraphique des films de Gareth Evans, Kill impressionne par sa radicalité, son savoir-faire et son énergie totale.

Même son titre, “Kill”, qui pourrait paraître d’une banalité confondante pour un film de baston, s’avère savamment mis en scène pour marquer la bascule du film lors d’un twist à mi-parcours. Car si la première moitié du film impressionne, ce n’est rien à côté de ce que vous réserve la deuxième ! Une violence inouïe et des geysers d’hémoglobine à faire pâlir un équarrisseur. Ponctué de dialogues mémorables du genre “Oui ils vont descendre de ce train… mais ce sera pour aller à leurs propres funérailles”, Kill assume à cent pour cent son jusqu’au-boutisme. Et il est franchement jubilatoire de voir la peur et les larmes changer de camp au fur et à mesure que notre héros fait parler ses poings. Chose rare mais ô combien appréciable, Kill bénéficiera d’une sortie dans les salles françaises dès mercredi 11 septembre, et croyez-le : vous n’êtes pas prêts !


L’Étrange Festival, c’est tous les jours jusqu’au dimanche 15 septembre, au Forum des Images de Paris.