YOU WON’T BE ALONE
Une jeune fille transformée en sorcière dispose du pouvoir de prendre l’apparence de n’importe quel être ou animal. Elle passe alors de corps en corps pour faire son expérience de la diversité des êtres vivants.
Critique du film
L’ambition du réalisateur macédonien Goran Stalevski est grande et entière pour son premier long-métrage : réaliser un film qui renouvelle la figure classique de la sorcière. Pour mener à bien son projet, il multiplie les points de vue mais également les personnages, dans une exploration à la fois terrifiante mais également étrangement joyeuse. Une seule actrice hante toute l’histoire, Maria – dite « la vieille fille », désignée sous le terme de « mangeuse de loup », le corps entier brûlé au troisième degré. Sa silhouette défigurée impose l’horreur dès les premiers instants, apparaissant au dessus d’une nouveau-née comme un fauve reniflant sa proie. Il est question de sang, de celui qu’on donne, et que l’on boit pour rester en vie en bonne santé, dans une communion avec la nature qui va de pair avec la connexion de la sorcière avec la forêt avoisinante. Si elle ne prend pas le nourrisson, elle la marque en lui arrachant la langue, stigmate de son retour, quand arrivée à l’âge adulte elle la prendra toute entière.
La métaphore du sang est évidente : c’est à la fois le témoin de la féminité, cet écoulement menstruel qui assure la vie, et une forme de transmission d’une femme à une autre. Maria engendre Nevena, et de bien des manières devient sa nouvelle mère, même si ce lien n’est que de courte durée. Si l’une est marquée à vie par ses brûlures, l’autre l’est tout autant par son mutisme, comme si la marque diabolique s’accompagnait d’une particularité, un handicap spécifique qui les définit autant que leurs pouvoirs de sorcières. Ceux-ci, Nevena les expérimente seule, abandonnée par sa nouvelle mère très vite lassée du tempérament impétueux de la jeune femme. L’auteur ne cache rien au spectateur, chaque transformation est montrée face caméra, dans un ballet d’images qui montre tout, jusqu’à l’horreur. Ingurgitant des morceaux de leurs proies, elles peuvent prendre leur apparence et leurs caractéristiques. Nevena commence alors un chemin qui a tout du conte initiatique.
C’est tout d’abord le hasard qui initie sa course, mettant sur son chemin une jeune femme, jouée par Noomi Rapace. Ce premier temps est plutôt raté, le mutisme et l’attitude étrange de ce membre de la communauté interrogeant sur le fait que le malin aurait pu la posséder. Les années passent et les visages changent pour Nevena, tantôt homme, ou animal, se cherchant au milieu de ces possibilités multiples. La solution vient d’une petite fille morte accidentellement d’une chute terrible. En incarnant cette enfant, la jeune sorcière rattrape le traumatisme initial : le vol de ses premiers instants par une mère effrayée à l’idée de la perdre. La transition est harmonieuse et tout devient possible. Le film se mue en une magnifique histoire d’initiation, une découverte de la vie depuis le début qui permet à Nevena de se trouver une identité, et de découvrir l’amour et la sexualité, librement choisis et consentis.
Le bonheur de cette jeune femme qui a construit son rite initiatique selon ses propres termes, et non ceux d’une « pygmalion » despotique et maléfique, est une explosion de joie et de sensibilité qui emporte le spectateur. Désormais, ce n’est pas le sang qui appelle Maria vers Nevena, mais la jalousie, son histoire étant contée dans un flash-back qui s’insère parfaitement au récit d’apprentissage que constitue la deuxième moitié du film. Toutes ces petites histoires enchâssées les unes dans les autres créent un tissu narratif d’une grande richesse. Tous ces points de vue et angles différents permettent à l’histoire de dépasser sa condition d’origine, devenant plus forte à chaque bon dans un corps différent jusqu’à trouver celui qui sera le bon. C’est un chant vantant l’auto-détermination que raconte Goran Stalevski. Au sein de tous les déterminismes qui composent l’histoire d’une sorcière, il arrive à trouver des chemins de traverse et notamment celui de l’émancipation la plus glorieuse. You won’t be alone est une très belle mosaïque d’histoires, presque un film d’aventure tellement le réalisateur et son casting nous font voyager avec originalité et talent.
De Goran Stolevski, avec Noomi Rapace, Alice Englert et Anamaria Marinca.