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L’ATTACHEMENT

Sandra, une quinquagénaire farouchement indépendante partage soudainement et malgré elle l’intimité de son voisin de palier et de ses deux enfants. Contre toute attente, elle s’attache peu à peu à cette famille d’adoption. Mais qui est-elle pour eux ? Qui sont-ils pour elle ?

Critique du film

La première scène du nouveau film de Carine Tardieu, L’attachement, semble diriger l’histoire vers une comédie de situations plutôt convenue. Un couple, Cécile et Alex, dépose en catastrophe leur fils chez leur voisine de pallier. Ils doivent se rendre prématurément à l’hôpital pour l’accouchement de leur second enfant. Sandra, la voisine, est prise au dépourvu. Célibataire endurcie, elle aime sa vie de libraire indépendante et militante, et s’occuper d’un enfant n’est pas du tout au programme.

Ces premiers instants font subodorer une morale simple sur la conquête des sentiments d’une irréductible par un adorable bambin plus intelligent que la moyenne. On retrouve dès lors la structure d’un film comme Amanda, un drame venant bouleverser tout ce que l’on croyait avoir compris du scénario. Cécile décède pendant l’accouchement, laissant la lourde tâche de la garde des enfants au seul Alex, désemparé face à ce deuil qu’il doit annoncer à Eliott, ce beau-fils qu’il considère comme le sien.

La structure narrative devient très intéressante à partir de ce bouleversement, Carine Tardieu, qui adapte L’intimité, roman d’Alice Ferney (2020), s’appuyant sur le formidable personnage joué par Valeria Bruni-Tedeschi pour avancer dans son intrigue et rivaliser d’intelligence de sensibilité. Ici encore la référence au film de Mikhaël Hers est patente : la capacité d’adaptation de tout un petit univers à un nouveau statu-quo intervenu après un aléa imprévisible, est particulièrement brillante. Valeria est Sandra, personnage qui bénéficie à la fois du talent immense de l’actrice franco-italienne, mais aussi d’une écriture soignée et précise. Elle échappe à tous les clichés et archétype pour perpétuellement surprendre, choisissant d’être explicite quand la scène nécessite une prise de position et de la clarté, mais aussi de suggérer avec habileté à d’autres instants où l’on ressent plus qu’on écoute ou voit.


Cette voisine devient proche d’Elliott et de cette famille et, comme le montre une très belle scène, il aurait été commode d’en faire l’amante qui guérit et console. Bruni-Tedeschi joue à merveille ce tournant où elle préfère prendre un pas de recul et mettre en garde Alex contre les erreurs trop évidentes produites par le besoin de faire son deuil. La composition des peines et des douleurs est là aussi très fines : dans des réunions de cette famille recomposée on découvre d’autres personnages, le père biologique d’Elliott, joué par Raphaël Quenard, beaucoup plus juste et dans la retenue que dans ses films précédents, ou la mère de Cécile dont la gestion du deuil est une merveille de gestion, dans des non-dits sublimes et pétris de sens.

Rien n’est fait dans la facilité dans L’attachement, et chaque moment qui présente un choix, une nouvelle opportunité de vie, est traité avec complexité, affichant la grande difficulté à s’engager dans une nouvelle voie quand son monde a été autant perturbé et modifié en si peu de temps. En cela, il est très habile d’avoir chapitré le film en mois, correspondant à l’âge de Lucille, née de l’accouchement qui a causé la mort de sa mère au début de l’histoire. Sa vie coïncide avec ce tournant dans la vie de tous les personnages, métaphore de la vie qui commence et doit se faire coûte que coûte. Ici encore on ne peut que louer le talent d’écriture et jeu de Valeria Bruni-Tedeschi, qui distille de très beaux messages féministes face à un Pio Marmaï dépassé par tout ce qu’il lui arrive.

La proposition de cinéma de Carine Tardieu, si elle s’appuie sur un texte de qualité, sublime ce matériau par ses choix intelligents et sensibles. Certains dialogues, inoubliables et beaux, comme l’annonce du décès de Cécile à Elliott, sont des bijoux indélébiles qui ne se dissipent pas tellement ils impriment durablement les esprits. L’attachement est un film généreux et intelligent qui prend par surprise, remue et bouleverse bien au-delà de son visionnage.


19 février 2025 – De Carine Tardieu, avec Valeria Bruni TedeschiPio MarmaïVimala Pons


Mostra de Venise 2024