JOUER AVEC LE FEU
Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension…
Critique du film
C’est peu de dire que le sujet du troisième long-métrage de Delphine et Muriel Coulin est brûlant, dans une actualité politique française particulièrement tendue et troublée. Si elles tournent peu, trois films depuis 2011, chacun de leurs projets comportait une thématique forte et prometteuse, au moins dans les intentions. 17 filles (2011) et Voir du pays (2016) avaient tous deux cette ambition, sans véritablement réussir à convaincre dans la mise en scène, comme en retrait de certaines des problématiques majeures, en éludant le politique de leurs histoires, ou en ne réussissant pas suffisamment à en tirer profit avec une mise sous l’éteignoir préjudiciable. Jouer avec le feu poursuit dans cette veine, avec ses personnages englués dans la radicalisation d’extrême droite d’une jeunesse en manque de repères.
L’aîné de la famille de Pierre, surnommé « Fus », est en échec dans ses études, n’a pas de profession et commence à fréquenter des groupuscules radicaux par le biais de son intérêt pour le football. Vivant en Lorraine, c’est tout un bassin en crise, orphelin de son industrie et de ses emplois, qui pousse une partie de la jeunesse à se radicaliser et à rechercher des coupables. L’engagement de Fus apparaît très rapidement dans le film, il n’est caché que dans les premiers instants, révélé par un collègue cheminot de Pierre qui l’a aperçu avec des identitaires lors d’un tractage houleux. Dès lors, c’est une violence assumée qui est brandie par Fus, qui va peu à peu brandir un discours haineux et xénophobe très facile à identifier.
Les réalisatrices décident dès lors de concentrer tout leur regard sur l’intime. Si la politique amorce la problématique qui détruit cette famille, elle reste constamment en arrière plan, presque complètement tue. Il est extrêmement étonnant de constater que beaucoup de termes simples ne sont jamais prononcés, ou seulement murmurés sans jamais être explicités. Le concept même d’extrème-droite n’apparaît qu’à une ou deux reprises, sans aucune scène faisant œuvre de pédagogie sur ce que sont vraiment les groupes ultra-violents identitaires, ni comment ils gangrènent les ultras des clubs de football. Il y avait pourtant ici un angle magnifique à développer pour expliquer comment le sport, et plus précisément le sport majoritaire en Europe, est devenu un cheval de Troie pour cette droite nationaliste et raciste, et une mine d’or pour recruter du sang frais dans leurs rangs.
Le père lui-même, après un début de film combattif, baisse les bras sur le plan des idées, jamais développées (on ne sait pas ce que sont les siennes, le mot même de « gauche » n’est jamais prononcé), pour se murer dans des phrases expéditives et un mutisme coupable. Dès lors, le film n’est qu’un enchainement d’images assez confuses où l’on assiste, notamment, à des combats de MMA dans un octogone clandestin, sans qu’on sache bien quel peut bien être le rapport avec la radicalisation des groupuscules d’extrême-droite. Toute cette thématique, pourtant lourde de sens et d’une actualité brûlante, n’est plus qu’un décor flou, qui aurait tout aussi bien pu être remplacé par une autre forme de radicalisation quelle qu’elle soit.
L’autre problème vient du traitement du deuxième fils de Pierre, Louis, brillant étudiant de prépa deux ans plus jeune que Fus. Son profil et ses études sont une approximation étrange, jamais définis avec précision, où l’on mêle la Sorbonne, Science-po, les classes préparatoires sans qu’on ne comprenne la finalité de son parcours. La répartie de ce frère est également très étonnante, perdu face aux peu de mots de son aîné. Là encore, aucun discours politique ou intellectuel ne surnage, hormis quelques idées reçues vite expédiées. Les sœurs Coulin n’ont pas réalisé un film désagréable, les acteurs y sont plutôt justes, Vincent Lindon, Stefan Crépon et Benjamin Voisin en tête, mais elles passent complètement à côté de leur sujet à trop vouloir s’en servir comme d’un prétexte pour traiter de la famille et ses tourments.
22 janvier 2025 – De Delphine et Muriel Coulin, avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon