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HOCUS POCUS

Halloween 1993 : Pour gagner le coeur de sa bien-aimée, Max Dennison va, par bravade, allumer la bougie fatidique qui a le pouvoir de faire renaître les trois soeurs Winifred, Sarah et Mary Sanderson, les trois plus célèbres sorcières de Salem.

…On All Hallow’s Eve when the Moon is round
a Virgin will summon them from under the ground…

Il était une fois un petit garçon qui grandit avec un enthousiasme demesuré pour tout ce qui avait trait à Halloween. Devenu père, et alors qu’un soir d’automne, il vit passer un chat noir sur son perron, il prit un air sérieux et demanda malicieusement à sa fille : « Ne sais-tu donc pas qui est cette pauvre créature ? » Face à la candeur de celle-ci, il entreprit alors de lui raconter l’histoire d’un jeune homme maudit pour l’éternité par un trio de sorcières dévoreuses d’enfants

Il aura fallu plus d’une décennie pour que l’imagination débordante de David Kirschner (auteur de Fievel et le nouveau monde et Fievel au Far West) prenne vie sur grand écran. Ayant confié ses notes à Mick Garris, celui-ci eut tôt fait d’en faire un scénario qui, bien que destiné à un public familial, assumait résolument un angle sombre et occulte, ainsi qu’un ton qui n’était pas sans rappeler celui des frères Grimm – et notamment le conte Hänsel und Gretel, connu pour sa sorcière avec sa maison en pain d’épices et son penchant culinaire pour les enfants préalablement cuits dans un four. Kirschner alla ensuite présenter le projet à Disney et, ayant décroché un rendez-vous avec Jeffrey Katzenberg en personne, il s’assura d’être introduit dans la salle de réunion une demi-heure en avance pour en tapisser la table de plus de dix kilos de candy corns ; ainsi, lorsque Katzenberg entra dans la pièce, celle-ci « embaumait » Halloween – une ambiance olfactive qui eut tôt fait de séduire les producteurs sur une idée de film capitalisant sur une fête qui, malgré sa popularité auprès des enfants, laissait une place quasi exclusive aux films d’horreur et d’épouvante.

HOCUS POCUS

Cependant, malgré l’achat des droits – et ce pendant une période connue sous le nom de « Disney’s Dark Era » qui vit la naissance de films comme The Watcher in the Woods, The Black Hole, ou encore Something Wicked this Way Comes et Dragonslayer – les producteurs restèrent longtemps indécis quant au format qui serait donné à ce projet qui fut intitulé Disney’s Halloween House. Tandis que certains prévoyaient une sortie sur le tout jeune Disney Channel, Kirschner et Garris en proposèrent la réalisation à Steven Spielberg qui déclina, Amblin Entertainment étant un concurrent direct de la firme aux gants blancs. Le scénario semblait alors condamné à périr sur les étagères des idées inachevées, mais ce fut l’intérêt immédiat de l’actrice Bette Midler qui le sauva et y insuffla la touche de génie qui acheva de faire du film le culte Hocus Pocus.

Secondée de Kathy Najimiy et Sarah Jessica Parker, c’est à la légende de The Rose que l’histoire du cinéma camp doit les trois soeurs Sanderson, bijou de comédie et de chorégraphie milimétrée. A l’image du décalage produit par le retour à la vie de trois condamnées des procès de sorcellerie, 300 ans après leur trépas dans le Salem des années 1990, Hocus Pocus combine les ingrédients du film d’aventure à celui des codes de l’horreur, tout en arrachant aux plus occultophobes des salves de fous rires.

COME LITTLE CHILDREN, THEY’LL TAKE YOU AWAY…

Réalisé par Kenny Ortega, grand habitué des comédies musicales, Hocus Pocus est certes un film familial, mais dont la lecture et la compréhension réussissent à gagner les coeurs de toutes les générations de spectateurs. De ses décors à sa bande originale, tout tend à la création d’une ambiance référencée et jouissive, tout en s’amusant à déjouer les filons classiques de la narration traditionnellement dévolue aux histoires pour enfants.

Preuve de ce qu’un projet créé avant tout pour divertir ne doit pas nécessairement faire la part pauvre à son ambition, le film réussit à traiter de sujets graves et forts en modulant sa grille de lecture par l’intermédiaire de ses personnages réalistes. N’ayant pas peur de confronter même ses plus jeunes spectateurs à des thèmes sombres tels que l’enlèvement et le meurtre d’enfants, ainsi que le harcèlement et la torture, le scénario rétablit l’équilibre en mettant en avant les valeurs de pardon et d’entraide.

HOCUS POCUS

Moteur de l’action et incroyablement dynamique, le quatuor de héros composé par Max, Dani, Alison et le chat Binx est d’autant plus rafraichissant que chacun de ces personnages constitue une réinterprétation résolument moderne des schémas auxquels Disney accoutume ses spectateurs. Initialement proposé à nul autre que Leonardo DiCaprio, qui le refusa pour se consacrer à What’s eating Gilbert Grape ?, le rôle de l’adolescent Max allumant la bougie à flamme noire revint à Omri Katz. Dans le rôle de sa petite-soeur, ce fut la toute jeune Thora Birch qui fut choisie ; quant à la belle Alison, c’est Vinessa Shaw qui hérita du rôle à quelques heures des premières répétitions. Répondant chacun à un présupposé évident – l’adolescent sarcastique, l’enfant devant être sauvée et la petite amie décorative, les trois personnages se révèlent rapidement aux antipodes de ces attentes – et allant même jusqu’à interchanger ces schémas.

À bien des égards, les rôles de « princesse » et de « prince charmant » si chers à Disney sont ici inversés ; tandis que Max est un personnage littéralement innocent et vierge, ainsi que le moteur de la haine des sorcières à travers tout le film, Alison le sauve à de multiples reprises, notamment grâce à ses connaissances sur les soeurs Sanderson du fait que sa famille fut en charge du musée qui leur était consacré. Quant à Dani, aussi vive d’esprit qu’irrévérencieuse, elle offre au film parmi ses meilleures répliques et échappe avec brio à l’image de « l’enfant appât ». Enfin, complétant le quatuor, la figure de sage est incarnée par Binx qui, sous l’apparence d’un chat noir immortel, sert autant le scénario dans son aspect fantastique que ses scènes d’action – les effets spéciaux et les animatronics n’ayant en rien à rougir plus de 30 ans après.

HOCUS POCUS

Tout comme il prend à rebours les codes définissant les traditionnels héros, Hocus Pocus fait la part belle à ses antagonistes – allant jusqu’à en faire les personnages principaux du film, ce pourquoi la version française aura écopé du sous-titre « Hocus Pocus, Les Trois Sorcières ». Indéniablement, l’âme même du film repose sur Winifred, Mary et Sarah – ainsi que sur les actrices qui les interprètent, livrant une performance de composition aussi loufoque que généreuse.

… AND PUT A SPELL ON US

Sous l’impulsion de Midler, qui voyait dans le personnage de Winifred l’opportunité de se glisser dans la peau d’un authentique vilain théatral, chaque sorcière est clairement identifiable par son apparence et sa personnalité – chacune des soeurs explorant une facette bien particulière de l’image traditionnelle de la sorcière.

Terrifiante leader du trio, Winifred interprétée par Bette Midler représente la sorcière maléfique, obsédée par son image et l’envie de rester belle et jeune. Toute vêtue de vert, couleur symbolisant autant la connaissance que le poison, elle est inspirée d’un savant mélange entre la reine de coeur d’Alice au Payx des Merveilles et d’Elisabeth Ière, ainsi que du rôle d’Angelica Huston dans Witches. Mary, sa soeur cadette, représente quant à elle l’aspect plus animal et traqueur de la sorcière mangeuse d’enfant, avec son habilité à les sentir. Kathy Najimy la joue comme un limier, et insuffle énormément de son admiration pour Bette Midler en tant qu’actrice dans la dévotion de Mary à l’égard de son aînée Winifred. Sarah, elle,e se rapproche autant de la sirène envoutant les enfants par son chant que de l’idiote du village mise à l’écart. Surprenante de créativité, la performance de Sarah Jessica Parker est assurément la plus étonnante et la plus touchante, tant elle est investie et méconnaissable dans ce rôle de mal aimée aussi stupide que diabolique.

HOCUS POCUS

Sous l’impulsion d’Ortega et de son goût pour les comédies musicales, les trois sorcières évoluent tel un seul et même personnage durant tout le film grâce à une combinaison de plusieurs chorégraphies – de leur façon de marcher en rythme à leur façon de conjurer des sorts – et trouvant son apothéose dans la réinterprétation du classique musical I put a spell on you. Souvent considérée comme la scène résumant à elle seule l’esprit du film, elle est l’archétype même de la magie créée par un moment de cinéma, lorsque le talent combiné de la mise en scène, de l’écriture et du jeu d’acteur forment un même instant diégétique servant la narration, et extradiégétique pour le seul divertissement du spectateur.

Boudé lors de sa sortie cinéma en juillet 1993 (date finalement trouvée au film au profit de L’Etrange Noël de Monsieur Jack), Hocus Pocus est de ces films qui connurent une seconde jeunesse – pour ne pas dire résurrection – au moment de la grande ère des rediffusions télévisuelles. Depuis, chaque année, les envolées de Winifred, Mary et Sarah à califourchon sur leur balai (ou aspirateur) envoutent petits et grands – qu’ils soient vierges, ou non.


DÉCOUVREZ CHAQUE DIMANCHE UN CLASSIQUE DU CINÉMA DANS JOUR DE CULTE.




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