featured_heimat-chronique-reve

HEIMAT – CHRONIQUE D’UN RÊVE

En 1842, Johann le père forgeron et Margret, la mère, tentent de subvenir aux besoins de Lena leur fille ainée, Gustav et Jakob leurs fils, Jettchen et Florinchen les futures épouses de ces derniers. Mais la situation économique en Allemagne est catastrophique et vient frapper durement la famille. Beaucoup de compatriotes ont décidé d’émigrer en Amérique du Sud. Jakob, le cadet, est le plus motivé pour prendre le large : il se renseigne et se lance même dans l’étude des langues des Indiens d’Amazonie. Le retour de son frère Gustav du service militaire effectué dans l’armée prussienne va remettre en cause ses projets et donner un tour inattendu à son destin…

CRITIQUE du film

« Regarder en soi. Tout part de là, et c’est, je crois, le meilleur chemin vers la compréhension de l’autre. » C’est ainsi qu’Edgar Reitz explique comment, aussi surprenant cela puisse paraitre, une journaliste japonaise ait pu lui affirmer que son film, pourtant planté en pleine campagne rhénane de l’Avant-Mars, ait pu lui rappeler de manière si vive sa grand-mère.

Terme intraduisible au plus juste de sa signification – tantôt « terre natale », parfois « patrie », voir même « origine », l’idée même de « Heimat » est aujourd’hui indissociable de ce réalisateur dont l’œuvre éponyme, ancrée au plus profond du terroir allemand, transcende pourtant aujourd’hui encore les frontières.

Initié il y a trente-cinq ans par une suite de mini séries, et racontant la vie quotidienne de ses concitoyens du Hunsrück entre 1919 et la réunification, c’est en 2013 que Reitz conclue son cycle cinématographique par un long-métrage de presque quatre heures, filmé dans un noir et blanc piqué de furtives notes de couleurs bien choisies, et revenant sur la grande vague d’émigration qui irrigua l’une des régions historiques et culturelles les plus importantes de l’ouest de l’Allemagne. Là, beaucoup sont tentés de tourner le dos aux rives de ce Rhin criblées de difficultés politiques et économiques pour la chaleur et les promesses du soleil brésilien. Parmi eux, Jakob Simon, dont le destin sert de fil rouge au récit.

D’AVENTURE EN AVENTURE

Rêveur et sensible, Jakob est avant tout un garçon singulièrement intelligent et curieux, qui dévore chaque livre qui lui tombe sous la main. Dans un environnement marqué par la pauvreté et le manque de perspectives, il fait figure d’étranger, de « sauvage » – à l’image même de ces indiens pour lesquels il se passionne. Ainsi, son désir de quitter sa condition et son microcosme répressif n’a à première vue rien d’étonnant. Pourtant, ce qui l’attire au loin n’est ni la nécessité matérielle, ni un idéal de vie. Irascible mélancolique, sa soif d’autre chose prend sa source dans l’inconnu, un autre monde dans lequel il espère enfin pouvoir se trouver.

Heimat Chronique d'un rêve

Très vite, la liberté, exister pour ce que l’on est, apparait comme l’un des grands thèmes du film. Comprise non comme le contraire de captivité, mais bien comme le chemin vers la connaissance de soi, Reitz reprend les codes bien connus du roman d’initiation – et très prisé au 19ème siècle – et filme avant tout une aventure intérieure, dont la beauté est d’autant plus mise en valeur qu’elle se construit en parallèle du fantasme de la découverte d’une terre nouvelle.

TERRE PROMISE 

Dans le village fictif de Schabbach, le temps s’écoule lentement. D’aucuns pourraient dire qu’il ne s’y passe pas grand-chose, et qu’à l’image des caravanes des aspirants expatriés que l’on aperçoit au loin, l’Histoire le traverse sans jamais y apposer sa marque. Le titre du film le révèle, le rêve de Jakob ne se réalisera pas ou du moins, pas comme il se l’était imaginé. Plusieurs de ses compatriotes s’en iront – et même son propre frère. Lui trouvera finalement son bonheur en restant chez lui, et en utilisant ses connaissances non plus pour nourrir ses envies d’ailleurs, mais pour se construire un avenir.

A l’image de son protagoniste, Edgar Reitz signe avec « Chronique d’un rêve » une poignante déclaration d’amour à sa région natale, mais plus généralement au cinéma allemand.

L’une des scènes mythiques du film le voit en effet camper lui-même un rôle secondaire de paysan, indiquant d’une voix affirmée « Ca, c’est Schabbach » à l’attention d’un homme cherchant sa route et l’interrogeant quant à l’endroit où il se trouve. Cet homme, c’est le naturaliste Alexander von Humboldt – explorateur et grande figure scientifique. Joué par Werner Herzog, un des représentants majeurs du nouveau cinéma allemand des années 1960-1970, l’échange furtif est un clin d’œil à leur volonté commune de sortir l’industrie germanophone des films par trop kitschs et patriotiques des années précédentes.

Loin du traditionnel film d’époque, souvent alourdi par le foisonnement des costumes ou des décors, et qui se sert de personnages hauts en couleurs pour raconter un moment d’Histoire, Chronique d’un rêve capte à contrario un moment d’intimité intense – celui d’un quotidien rural où chaque personnage est tendrement mis en valeur, et où le rythme langoureux du récit nous transporte à une époque révolue et pourtant intemporelle.


#LBDM10ANS




%d blogueurs aiment cette page :