Fevrier

FÉVRIER

Aux confins de la Bulgarie rurale, Petar traverse les saisons et le temps de sa vie humble : le travail, la terre, les brebis… À l’écart du monde des hommes, il suit son chemin et accepte son destin sans regret.

Critique du film

Kamen Kalev est un cinéaste qui semble avoir toujours été à cheval entre plusieurs pays, à la frontière de territoires aussi fascinants que la Bulgarie son pays natal, la France, ou encore la Turquie. Il est né sur grand écran avec un très beau film, le torturé Eastern Plays, porté de bout en bout par l’énigmatique Christo Christov, décédé peu de temps avant la sortie du film en 2010. Cette narration des tensions existantes aux confins de l’Europe, révélant un malaise et un racisme exacerbé par la présence de la Turquie toute proche, bouleversait par la rencontre entre la violence et la candeur de son personnage principal heurté de plein fouet par le nationalisme et la haine. La Bulgarie n’est jamais bien loin de la caméra de Kamen Kalev, qui même quand il choisit Melvil Poupaud comme acteur principal dans Tête baissée, le fait voyager jusqu’à son pays gangréné par des histoires de pègre. Février est l’occasion pour lui de revenir complètement habiter cette terre du bout de l’Europe, et revenir à une épure pour le moins déroutante.

Si le projet de ce nouveau film était d’étudier la fin d’une vie d’un simple berger bulgare n’ayant jamais cherché autre chose que la simplicité ainsi que de remplir son rôle, il a pris de l’ampleur pour devenir une fresque en trois parties distinctes où l’existence de Petar est découpée en saisons, de l’enfance au crépuscule. De l’aveu de l’auteur, ce sont presque trois tournages qui eurent lieu, chaque moment étant tourné d’un bloc, avec sa couleur et son énergie propre. Le premier temps, celui de l’enfance, est ainsi aussi lumineux que le dernier est sombre et aride, un contraste qui souligne la distance parcourue. Ces quarante premières minutes auscultent ce petit garçon qui semble bien trop frêle pour faire ce métier dur au milieu d’une montagne où son seul compagnon est son grand-père, homme bourru qui n’est en rien un père de substitution. Mais la chaleur distillée par la lumière et la nature luxuriante au milieu de laquelle Petar n’est qu’un insignifiant petit point, donnent à cette partie un sentiment presque irréel, à la limite de l’onirisme.

L’immersion atteinte permet au spectateur de naviguer dans ce paysage comme on se perd dans un songe. En être extirpé pour atteindre le second temps du film est presque une déchirure. C’est tout à la fois une réussite et le symptôme d’un problème d’équilibre pour tout le reste du film. Petar devenu jeune adulte, le verbe s’immisce tout à coup dans un récit qui en était jusque là très économe. Il est presque étrange d’entendre prononcer des mots qui semblaient jusqu’ici évidents même si sous-entendus. Le jeune homme est un berger, et c’est la seule vie qu’il désire, devenir militaire ne l’intéresse pas, il se prête seulement à ce rituel où les nations comptent leurs hommes adultes pour éventuellement les envoyer à la guerre. Mais tout comme ce bloc narratif, cela ne demeure qu’un trait d’union, une intermède avant de retrouver le rôle presque assigné à la naissance dans un déterminisme assez incroyable.

Février
Filmer ces montagnes en s’extirpant d’une certaine forme de réalité, c’est aussi la possibilité pour le cinéaste de questionner le temps dans un film, et notamment la durée du plan, à la manière d’un Lav Diaz qui explose complètement la vision classique de ce que doit être un long-métrage de fiction. Cette expérimentation formelle est sans doute ce qu’il y a de plus intéressant dans Février, cette volonté profonde de Kamen Kalev de sortir du cadre d’un tournage de fiction classique pour se concentrer absolument sur un personnage plongé dans un territoire qui le dépasse, le submergeant tout entier comme on se laisserait engloutir par l’océan. Les résonances opérées à travers le film sont à ce titre fascinantes bien qu’évidentes. Petar devient ce grand-père qui le formait enfant, dans une logique très mécanique. Les détails de toute une vie s’effacent pour ne laisser que les moments charnières que sont le mariage, les décès et le vieillissement inéluctable.

La beauté du personnage principal, son presque mutisme ainsi que sa résolution d’appartenir à quelque chose de plus grand que lui, tout ceci est presque un obstacle à l’épanouissement du film où rien ne semble exister à coté. L’écueil classique du sentiment d’inégalité entre les parties du film est bel et bien là, certains dialogues intervenant à mi-film n’étant pas vraiment à la hauteur de la beauté de ces premiers instants inscrits tel un jardin d’Eden insurpassable.

Il reste malgré tout un projet ambitieux qui arrive à captiver l’oeil sur près de trois heures, créant une bulle hors du temps loin de l’urbanité écrasante qu’on pouvait observer dans Eastern Plays, entre Sofia et Istanbul. Ce retour aux sources est un voyage charmant et cathartique qui génère du rêve et de l’abstraction dans le plus naturaliste des décors.

Bande-annonce

30 juin 2021De Kamen Kalev, avec Lachezar Dimitrov, Kolyo Dobrev et Ivan Nalbantov.