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CITY OF DARKNESS

Dans les années 80, le seul endroit de Hong Kong où la Loi Britannique ne s’appliquait pas était la redoutable Citadelle de Kowloon, une enclave livrée aux gangs et trafics en tous genres. Fuyant le puissant boss des Triades Mr. Big, le migrant clandestin Chan Lok-kwun se réfugie à Kowloon où il est pris sous la protection de Cyclone, chef de la Citadelle. Avec les autres proscrits de son clan, ils devront faire face à l’invasion du gang de Mr. Big et protéger le refuge qu’est devenue pour eux la cité fortifiée.  

CRITIQUE DU FILM

À peine plus d’un an après la sortie de Limbo qui s’était accompagné d’un succès tant critique que publique, et en attendant celle sur support physique de Mad Fate, le prolifique réalisateur hongkongais Soi Cheang fait de nouveau parler de lui. Avec City of Darkness, son nouveau long-métrage, il se voit même offrir les honneurs du Festival de Cannes qui lui consacre lors de cette édition une séance de minuit (lesquelles sont habituellement dévolues à mettre en lumière un cinéma de genre, davantage tourné vers l’action). Bien qu’elle soit hors-compétition, cette sélection est le signe que le réalisateur a décidément le vent en poupe, et témoigne de la reconnaissance du milieu à son égard ces dernières années, puisque Limbo avait déjà connu pareil destin au Festival de Berlin en 2021.

City of Darkness est une adaptation de l’œuvre d’Andy Seto, auteur et dessinateur de manhuas (équivalent chinois aux mangas), qui nous entraîne dans l’incroyable citadelle de Kowloon au début des années 1980. Aujourd’hui disparue, l’enclave chinoise au coeur de la colonie de Hong Kong alors sous domination britannique, était un lieu de non-droits où vivaient les plus démunis et où régnaient les triades chinoises grâce au trafic de drogue, aux jeux d’argent et à la prostitution. Tout juste grande comme un quartier de Paris, la citadelle connaît un surpopulation folle avec 50.000 habitants vivants dans une promiscuité et des conditions à peine croyable (la densité y était supérieure à 1,9 million hab./km2). Année après année, les constructions anarchiques s’y superposent les unes sur les autres, à tel point que la lumière du jour ne pénètre plus dans les couloirs labyrinthiques que constituent les anciennes rues. 

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Cet environnement tortueux et chaotique, digne d’une dystopie apocalyptique, rappelle immédiatement celui que Soi Cheang nous avait déjà présenté dans son polar Limbo. La différence, majeure, tient au fait que cette fois, le noir et blanc laisse la place à la couleur, pour une beauté graphique toute aussi époustouflante. Cette richesse visuelle est aussi au crédit de Siu-Keung Cheng et Kwok-Keung Mak, respectivement Directeur de la Photographie et Chef Décorateur sur les deux films, et dont le travail impressionnant et leur sens du détail rendent les décors inoubliables, au point de nous graver la rétine de ces images de bidonvilles d’où émane une poésie insoupçonnée. On retrouve ainsi ce monde littéralement privé d’horizon, où l’urbanisme incontrolé semble ne pas connaître de fin et a rongé la moindre parcelle au point de faire disparaître toute trace de la nature. Dans cet amas de béton et de détritus, seulement éclairé par des néons, l’humain subsiste plus qu’il ne vit. 

Dans City of Darkness, il est justement question de survie. Le héros, Chan Lok-kwun, est un réfugié arrivé du Vietnam à la recherche d’un nouveau départ. Dans les années 1970, nombreux sont les boat people qui, comme lui, tentaient de gagner Hong Kong où une loi en vigueur permettait alors d’octroyer des papiers aux fugitifs de la Chine continentale. À l’abolition de cette loi en 1980, ces réfugiés se sont alors tournés vers la citadelle de Kowloon afin d’y vivre dans la clandestinité. C’est ainsi que notre héros, Lok, déterminé à obtenir ses papiers, va se retrouver au cœur d’un conflit entre gangs rivaux pour le contrôle de la citadelle.

Inutile de faire dans l’euphémisme, la première partie du film consacrée à la présentation de cette citadelle de Kowloon et des différents protagonistes est tout simplement incroyable. La mise en scène de Soi Cheang est une fois de plus d’une virtuosité folle et confirme un peu plus la maîtrise totale de son art. Le réalisateur hongkongais exploite magistralement l’espace pourtant confiné de Kowloon, et bien aidé par un montage nerveux mais d’une parfaite lisibilité, on jubile devant les prouesses physiques des acteurs. Quelque part entre la dureté des Ip Man et la légèreté d’un Tigre et Dragon, les combats offrent tout ce que l’on peut attendre d’un film dans lequel est impliqué Wilson Yip (ici producteur, mais avant tout connu pour être justement le réalisateur de la saga Ip Man).

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Mais il serait trompeur de penser que City of Darkness n’est qu’un film de baston. Soi Cheang plonge avec sincérité dans ce monde désenchanté et s’applique à montrer la solidarité que l’on peut trouver chez les laissés pour compte, quand les institutions et les politiciens les ont abandonnés. Cela fonctionne aussi en raison de l’investissement total des acteurs, parmi lesquels on retrouve plusieurs visages bien connus du cinéma hongkongais, à commencer par l’immense Sammo Hung qui, malgré les années, a encore du répondant. Si le mystère qui entoure les origines du héros et les ressorts de vengeance qui animent certains des personnages ne sont pas des plus originaux, on ne peut qu’apprécier le soin apporté pour parfaitement caractériser chacun d’entre eux et leur donner un background et une identité propres. 

Alors qu’il officie depuis un quart de siècle derrière les caméras, Soi Cheang semble avoir atteint ces dernières années la pleine mesure de son talent. Après Limbo, il confirme qu’il n’a pas son pareil pour filmer les tréfonds obscurs de nos villes où règnent les marginaux et dévoile un style qui s’apparente à une marque de fabrique aussi identifiable qu’impressionnante. Avec City of Darkness, Soi Cheang s’affirme définitivement comme le symbole d’un cinéma hongkongais revigoré et toujours vibrant. Doté d’une énergie folle et d’une générosité sans pareille, son film est un uppercut qui viendra à bout même des cuirs les plus épais.

BANDE-ANNONCE

14 août 2024 – De Soi Cheang, avec Raymond Lam, Louis Koo et Sammo Hung


Cannes 2024 – Hors-compétition