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JUSQU’À L’AUBE

Misa et Takatoshi ne se connaissent pas encore lorsqu’ils rejoignent une petite entreprise japonaise d’astronomie. En quête d’un nouvel équilibre, ils ont délaissé une carrière toute tracée : elle, en raison d’un syndrome prémenstruel qui bouleverse son quotidien ; lui, à cause de crises de panique aiguës. Peu à peu, ils apprennent à travailler autrement, se rapprochent, s’apprivoisent… et découvrent qu’une présence suffit parfois à éclairer la nuit.

Critique du film

Il y a dans le cinéma de Shô Miyake une douceur presque intenable, celle qu’on réserve aux âmes meurtries qui refusent de se briser. Ses personnages avancent avec des attelles de fortune, portant leurs blessures comme on porte un secret. Après La beauté d’un geste, où une boxeuse sourde luttait contre la disparition de son refuge, Jusqu’à l’aube déploie le même réconfort fragile. Cette fois, une jeune femme se bat contre un syndrome prémenstruel invalidant, cette souffrance intime que le cinéma ignore ou raille, mais qu’ici Miyake enveloppe de compassion.

Misa (Mone Kamishiraishi) porte sur son visage de Pierrot mélancolique toute la tristesse du monde. Enjouée en apparence, elle devient une fois par mois cette autre personne qui s’emporte contre ses collègues stupéfaits et s’endort dans des lieux impossibles. Après les incidents, après les excuses humiliantes, après les médecins impuissants, elle finit par démissionner. Ses colères ne sont jamais violentes, mais dans l’univers japonais de la déférence et du silence poli, le moindre débordement fait d’elle une paria — surtout à ses propres yeux, si durs envers elle-même.

Le terne devient tendre

Cinq ans s’écoulent. Takatoshi (Hokuto Matsumura) arrive dans ce bureau miteux où Misa a trouvé refuge. Beau, un peu bourru, rongé par des crises de panique qui ont enterré ses ambitions, il accepte ce poste modeste dans une entreprise de jouets scientifiques. Assis à côté de Misa parmi les anciens, il regarde avec mépris ces gens qui s’offrent des gâteaux et bavardent gentiment pendant que le temps file. Pour lui, c’est une prison de médiocrité. Pour Misa, c’est devenu un havre.

Jusqu'à l'aube

Sur pellicule, le directeur photo Yuta Tsukinaga capte la mélancolie de ces lieux ordinaires — les banlieues sans éclat, les bureaux encombrés, les pauses dérisoires. Pourtant, à mesure que Misa et Takatoshi apprennent à se soutenir mutuellement, ces espaces se métamorphosent. Le terne devient tendre. L’insignifiant révèle sa grâce. Miyake suggère que nos refuges ne sont jamais là où on les attend, et que la bonté d’un lieu réside entièrement dans celle des êtres qui l’habitent. Le patron, en deuil de son frère adoré, a accueilli Takatoshi par amitié, perpétuant ainsi une chaîne invisible de bienveillance.

Chacun·e ici porte son fardeau, et l’héroïsme discret touche d’autant plus qu’il ne demande ni reconnaissance ni cape, et Jusqu’à l’aube refuse obstinément de désigner des coupables. Le seul ennemi véritable, c’est cette voix intérieure qui murmure inlassablement notre insuffisance. Miyake aurait pu céder aux facilités : la métaphore céleste du planétarium transformée en symbole lourd, l’histoire d’amour inévitable entre deux âmes blessées. Mais il sait que la rédemption n’emprunte pas toujours les chemins du romantisme. Parfois, sauver quelqu’un c’est simplement être là, à côté, dans un bureau médiocre où l’on partage des gâteaux bon marché. Ses personnages ne sont peut-être pas brisés, mais ils savent qu’on peut être réparé sans avoir jamais été entier. C’est là toute leur mélancolique beauté.

Bande-annonce

14 janvier 2026 – De Sho Miyake


Festival du film de société de Royan 2025